Quand on croque dans une glace au chocolat, il y a de fortes chances pour qu'elle contienne du cacao en provenance de Côte d'Ivoire. Et il se peut qu'elle ait financé le récent conflit armé qui a déchiré le pays entre 2002 et 2006. C'est ce que révèle l'Organisation non gouvernementale Global Witness, dans un rapport édifiant prouvant que plus de 118 millions de dollars issus du commerce du cacao ont financé l'effort de guerre des deux parties : gouvernement ivoirien et Forces nouvelles (groupe de rebelles contrôlant le nord du pays). Plus gros producteur mondial de cacao destiné à l'industrie chocolatière, la Côte d'Ivoire tire de sa principale ressource 35% de la valeur totale des exportations, soit 1,4 milliard de dollars. Sur une population d'environ 16 millions de personnes, 3 ou 4 millions travaillent dans la filière cacao. Une véritable mine d'or. D'abord pour le président ivoirien Laurent Gbagbo et son entourage qui, en conservant le contrôle des institutions nationales financières de la filière, se seraient servis sur les bénéfices de l'industrie, à hauteur d'au moins 35,8 millions de dollars. « Bien sûr que le gouvernement s'est servi de l'argent du cacao pour acheter des armes, a déclaré une source interne à l'ONG. Sa seule erreur a été d'essayer de le cacher. Il n'aurait pas dû le dissimuler. » L'ONG pointe un doigt sur deux institutions dont la contribution directe s'élèverait à moins 20,3 millions de dollars : l'Autorité de régulation du café et du cacao, la Bourse du café et du cacao, dont le conseil d'administration comprenait deux représentants de la plus importante organisation professionnelle d'exportateurs : le directeur général d'ADM Cocoa Sifca, et le directeur de Dafci qui, à l'époque, appartenait à la société française Bolloré. « Ces institutions ont également donné des véhicules aux Forces de défense et de sécurité et, pour ce faire, ont utilisé les fonds constitués par les prélèvements versés par les exportateurs de cacao », est-il précisé. En plus des prélèvements destinés aux institutions de la filière, le gouvernement a imposé des taxes sur le cacao. Jusqu'en 2002-2003, la totalité des fonds provenant des prélèvements parafiscaux surversés par les exportateurs auraient été déposés sur plusieurs comptes à signature. « En octobre 2002, la Caisse autonome d'amortissement a viré 19 millions de dollars depuis le compte de la Réserve de prudence vers un compte du Fonds de régulation et de contrôle, à la demande des ministres des Finances et de l'Agriculture. Le FRC a ensuite prêté cet argent à l'Etat ivoirien, à un taux d'intérêt de 6,5% au titre de "l'effort de guerre". Et les fonds ont abouti sur le compte du service financier de la Présidence de la République. Le prêt devait être remboursé en une seule fois au bout de douze mois. On ignore si le remboursement a effectivement eu lieu », souligne l'enquête. Du côté des Forces nouvelles, Global Witness estime la moyenne annuelle des recettes issues du cacao, accumulées depuis 2004, à 30 millions de dollars. Les compagnies qui exportent du cacao depuis cette zone devant s'acquitter d'une taxe à l'exportation et d'une autre d'enregistrement. Les FN, bien que faisant partie du gouvernement de réconciliation nationale, auraient progressivement mis en œuvre leur propre système fiscal parallèle, permettant ainsi au mouvement de survivre et aux officiels des FN de s'enrichir.