La coordination syndicale des ports d'Algérie a donné le coup d'envoi à la résistance publique. La négociation entre le ministère des Transports et les Emiratis de DPW qui se voulait discrète est au pied du mur. L'Entreprise du port d'Alger (EPAL) a reçu la semaine dernière les nouvelles propositions de Dubai Port World au sujet de la prise en concession en du terminal à conteneurs d'Alger. Les nouvelles sont bonnes… ou mauvaises, selon que l'on soit partisan de la naissance de cette joint-venture algéro-émiratie à 50/50 ou hostiles. Bonnes pour les partisans. Ils sont visibles au MPPI, partenariat de l'opération, qu'au port d'Alger. Le ministère des Transports, qui chapeaute l'opération, marche sur un plateau d'œufs. « Dubai Port World (DPW) a pris en considération les principales requêtes de la partie algérienne lors du premier round de négociation qui s'est tenu à Alger le 12 juin dernier. Nous allons pouvoir avancer. » L'offre du numéro trois mondial de l'exploitation des terminaux à conteneurs dans le monde n'était pas assez précise jusque-là au sujet de ses investissements au port de Djendjen. Le port de Djendjen ? En fait le partenariat avec DPW implique la prise en concession du terminal à conteneurs d'Alger aux recettes florissantes et du port de Djendjen qu'il faut finir de construire et lancer dans le trafic régional. Toute la subtilité de la négociation actuelle entre le pôle EPAL-ministère des Transports d'un côté et Dubai Port World de l'autre, se cache dans « cette vente concomitante » d'une affaire qui marche et d'une affaire à risques. Ouvrir Alger pour lancer Djendjen Ce sont deux blocages qui ont amené les autorités algériennes à cette transaction. Le premier concerne les saturation du terminal à conteneurs d'Alger livré à la fin des années 1990, construit sur 4 ha sur une partie de môle à entrepôts. Il a très vite atteint des limites de trafic avec la reprise des importations : 440 951 conteneurs (équivalents vingt pieds EVP) en 2006, 423 282 EVP en 2005, soit une hausse de seulement 4%, alors que la moyenne de la croissance du trafic portuaire dans son ensemble est de 17% en moyenne depuis l'année 2000. Le second blocage concerne le développement du port de Djendjen. Abandonné sur son amont par le projet d'aciérie auquel il était lié dans sa conception, désespéré de voir se développer la zone d'activités off-shore de Bellara qui aurait pu le relancer, le port au plus gros potentiel de la rive sud-méditerranéenne est resté en jachère, sauvé principalement par les importations céréalières d'un gros professionnel du Sud algérien. L'idée de lier la solution au deux ports découle d'une étude commandée par la direction des ports du ministère des Transports, il y a quatre ans. Aucun grand opérateur portuaire ne viendra investir pour réaliser quais, terre-pleins et installer les équipements de manutention à Djendjen, un port encore sans trafic. Il faudra donc offrir « en appât » une activité qui tourne : le terminal à conteneurs du port d'Alger, à charge pour la partenaire étranger d'en double le volume de trafic en cinq ans. Les opposants à la privatisation de l'exploitation du terminal à conteneurs affirment qu'Alger est une mariée trop belle, donnée pour Djendjen, et qu'il était plus judicieux de faire éventuellement « ce lien » avec le port de Béjaïa qui a été donné seul en concession à 50/50, il y a trois ans, à une entreprise de Singapour anonyme dans l'activité portuaire. Pour les autorités algériennes, Djendjen est un terminal stratégique dernière génération (jusqu'à 12 000 EVP) qui font halte à Malte ou à Algésiras et qui animent l'activité de transbordement vers les autres ports. Il mérite donc que l'on mette pour lui Alger dans la balance. Surtout, l'arrière pensée est bien là, que le sort de Djendjen est le meilleur argument pour faire sauter « le verrou syndical » du port d'Alger. Abbas et le front du refus Il a des cheveux blanchis mais a gardé le regard toujours aussi vif et le ton sans bémol de la harangue. Abbas est l'homme fort du syndicalisme portuaire algérien. Les docks lui font confiance comme à un prophète. Et ils ont raison, Abbas ne les a jamais trahis près de 40 ans de mandat syndical. Flanqué de Saïd Bouzidi et Abdelatif Thamer, camarades de la section syndicale de l'EPAL, ils donnent à trois un visage et une vrai front du refus. Les autres opposants à la mise en concession du terminal à conteneurs du port d'Alger ne se livrent pas encore au grand jour. Abbas, Guermache Maâmar de son vrai nom, a lui la légitimité d'une récente réunion de la coordination syndicale de tous les ports d'Algérie. Le communiqué final rejette en bloc la séparation de l'autorité portuaire d'avec les activités commerciales (décret 1999), l'ouverture à des partenaires privés des activités remorquage, manutention et acconage (décret 2006), privatisation des ports. Elle n'est prévue par aucun décret mais Hamid Temmar a bien déclaré dans une première réunion sur le dossier des ports que c'était son option préférée. Abbas est calme et déterminé : « Pourquoi voulez-vous que nous donnions à ces Emiratis l'activité conteneurs qui fait rentrer 70% des recettes du port d'Alger, pour les investissements qu'ils vont faire ? Nous avons de l'argent à l'EPAL à ne pas savoir quoi en faire. Nous avons même des parts dans le Sheraton, ce qui n'est pas de sens, mais cela veut bien dire que nous n'avons pas de problèmes financiers. Nous pouvons tout faire entre Algériens : acheter des portiques et tous les équipements pour améliorer le rendement. Nous ne pouvons pas lâcher la souveraineté sur les ports. C'est la frontière. Voyez Béjaïa, il est maintenant le port qui pose le plus de problème de trafic de produits interdits. On parle même de trafic d'armes. Lorsque le terminal à conteneurs se privatise, dites-moi est-ce que Dubai Port World va venir au secours de la sécurité sociale algérienne. Nous, nous avons fait un don de 350 milliards lorsqu'on nous a demandé de l'aide. Avec les ports, c'est le drapeau du pays qui est en jeu. Pas nos emplois. Ce n'est pas cela que nous sommes en train de défendre. Le volet social de la privatisation du terminal à conteneurs n'est pas du tout notre souci. Nous nous battons pour quelque chose de plus fort et nous sommes prêts à tous les sacrifices pour cela s'il le faut. » Le « privé » du port d'Alger, véritable gros perdant Les paris sont donc ouverts. La menace d'une prochaine journée d'action dans les ports d'Algérie peut-elle faire couler le navire DPW ? Une revendication intermédiaire pour permettre à tout le monde de gagner du temps, celle d'associer les syndicalistes au processus de négociation. Pour l'heure, il se tient en secret. Les deux bords, partisans et opposants à la concession du terminal à conteneurs du port d'Alger ont des arguments à faire valoir. Seule différence, cux des opposants font un peu date. Le port d'Alger a perdu dix ans d'aisance financière sans faire de modernisation significative de ses équipements. Pas de portiques, peu de stakers, un port sec à Rouiba très mal géré. La bataille a peut-être était perdue à un moment. En fait, tout le monde a trouvé intérêt à cela ; le pouvoir politique allait faire du prétexte de la mise en concession son but « idéologique » de départ ; la direction du port d'Alger préservait les équilibres complexes sur les quais, et le florilège de petits intervenants privés dans les différentes opérations de l'exploitation du port y gagnait. Il se dit d'ailleurs que c'est au privé qui y travaille que fera le plus de mal le passage du terminal à conteneurs entre les mains de Dubai Port World — en partenariat avec le port d'Alger à 50/50. Le terminal à conteneurs lui sera automatiquement fermé. D'ailleurs, Abbas lui-même reconnaît les opérateurs privés qui travaillent dans le port d'Alger — des « prête-noms » de certains du secteur que personne ne veut prendre le risque de nommer — ont toujours joué contre l'acquisition de portiques qui les auraient marginalisés. « On a même eu un sabotage récemment qui a mis à l'arrêt 11 stakers. Leurs démarreurs ont été brûlés. » C'est le matériel du privé qui vient à la rescousse. Et ses tarifs qui font loi. C'est sans doute pour cela qu'Alger à la réputation d'être un port cher pour le transit des marchandises, dont le rythme moyen de débarquement de conteneurs y est de 7 par heure et par bateau, alors que la norme en Méditerranée est de 25. Le rattrapage de cette norme sur le site du terminal actuel évitera, entre autres, le lancement de la construction d'un autre terminal à conteneurs au centre du pays d'ici 2015. DPW prétend pouvoir le faire en trois ans. Les cadres de l'EPAL et les syndicalistes aussi. Le bras de fer ne fait que commencer.