Ce n'est pas cette fois-ci que les Etats-Unis auront un président noir, ou descendant des Indiens, encore moins un Américain d'origine arabe... Ralph Nader le sait sans doute, mais depuis son intention d'entrer, pour la quatrième fois, dans la course à la Maison-Blanche, il n'a ménagé aucun effort et s'est battu pied à pied, comme il l'a fait au cours des campagnes électorales successives face à ses concurrents républicains et démocrates qui disposaient de plus de moyens. Beaucoup parmi ceux qui l'ont soutenu en 2000, dont sa colistière, une Indienne, Michael Moore ou Noam Chomsky, ont décidé depuis de lui retirer leur soutien au profit de John Kerry. Ce brillant avocat new-yorkais de 70 ans est loin d'être un Wasp white anglo-saxon protestant - cette catégorie d'Américains qui a donné tout ou presque tous les dirigeants des Etats-Unis. Il est né le 27 février 1934 à Winsted, dans le Connecticut, où ses parents d'origine libanaise tenaient un restaurant. Le visage creusé, ce célibataire endurci vit pourtant dans un modeste appartement dans Big Apple sans femme ni enfant, car il n'aurait, dit-il, « jamais aimé être un mari et un père absent ». C'est dans la seconde moitié des années 1960 que ce défenseur infatigable des droits des consommateurs sort de l'anonymat en publiant un livre, qui sera aussitôt un véritable best-seller, sous le titre Ces voitures qui tuent, et dans lequel il s'en prenait aux fabricants d'automobiles qui négligeaient à l'époque la sécurité de la conduite. La plupart d'entre eux n'équipaient pas systématiquement tous les modèles de véhicules de... ceintures de sécurité ! En ligne de mire des attaques de Nader figurait le premier constructeur américain qui n'était autre que General Motors. Le voiturier essaie de le neutraliser, mais il réussit à gagner son procès en diffamation. Dès lors, le monde entier entend parler de lui, alors que dans certains pays d'Europe, par exemple, on ne songeait même pas à créer encore des associations de défense du consommateur. Ses penchants pour l'écologie ne datent pas d'hier. Alors qu'il poursuivait des études à Harvard, l'une des plus prestigieuses universités américaines, il incitait les étudiants à planter des arbres et à protéger l'environnement en ces débuts des années 1960. Et somme toute, c'est donc naturellement qu'il crée son parti écologique dont il sera le représentant lors de l'élection présidentielle à partir de 1996. Depuis le moment où il a choisi, il y a douze ans, de se lancer dans la course à la Maison-Blanche, il n'a cessé d'avoir le vent en poupe tout au long des trois précédentes élections. Toutefois, cette fois-ci, le leader du Green Party, le parti des Verts, les « écolos », part dans une position moins favorable qu'en 2000. En effet, beaucoup de ses partisans d'alors se sont ravisés, même sa colistière, l'Indienne Winona La Duke, l'a abandonné au profit de John Kerry, jusqu'à Michael Moore, le cinéaste qui l'avait soutenu en 2000 et l'universitaire Noam Chomsky. Il est vrai que depuis la dernière élection présidentielle au cours de laquelle Ralph Nader avait réussi un score de 2,7 % et en privant le démocrate Al Gore de 90 000 voix en Floride, il a permis en quelque sorte la victoire de George W. Bush. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Il y eut surtout le 11 septembre 2001, la guerre contre le terrorisme, l'occupation de l'Irak... C'est dire combien les démocrates peuvent lui en vouloir aujourd'hui et l'accusent de faire le jeu des républicains et de permettre la réélection de Bush contre John Kerry. Quant à ses propres partisans, ils n'ont eu de cesse d'essayer de le convaincre, jusqu'à ces derniers jours, de se retirer de la course à la Maison-Blanche en lui expliquant que si beaucoup de démocrates lassés par le couple Clinton-Al Gore et les compromis qu'il avait pu faire avant 2000 avaient certainement voté pour lui, le 2 novembre prochain ce ne serait sans doute pas le cas. Ils n'ont pas hésité pour cela à mettre en avant les récents sondages qui lui pronostiquaient à peine 1 % des suffrages. Ses amis ont essayé de l'amener à renoncer à son pari, arguant que l'histoire ne retiendra pas le grand défenseur du consommateur du XXe siècle, mais celui qui a permis la réélection de Bush. Il n'en démord pas pour autant et ne pense pas moins que la démocratie américaine est corrompue par le pouvoir des grandes entreprises. Face aux attaques de démocrates qui prétendent qu'il aurait reçu des républicains appui et aide financière, il rétorque preuves à l'appui que la campagne de Kerry a reçu 100 fois plus de dollars que la sienne. Et comme pour justifier sa présence dans la présidentielle de 2004 : « Je participe à l'opposition contre le Président (Bush ndlr), l'un des pires qu'ont jamais connu les Etats-Unis. » Et d'enfoncer encore plus le clou côté démocrate, il affirme d'un ton péremptoire : « Contre Bush et son programme antitravailleurs, anticonsommateurs et antienvironnement, le Parti démocrate devrait normalement l'emporter par un raz-de-marée. Mais c'est un parti décadent qui pourrit. Il est trop faible pour résister au pouvoir des grandes entreprises... Depuis dix ans, il montre qu'il est incapable de gagner contre le pire des candidats que ce soit lors d'élections locales ou nationales. » Les démocrates lui en ont voulu et se sont acharnés à essayer d'invalider sa candidature dans plusieurs Etats, ces fameux Swing States où tout peut se jouer au dernier moment. Nader sera toutefois présent en Floride, là où Al Gore le démocrate a perdu par 537 voix contre le républicain Bush en 2000 !