Avec une boutique à Paris et une autre à Washington, le couturier nigérien Alphadi aurait pu se contenter de faire cavalier seul dans la mode africaine. A la fois président de la Fédération africaine de créateurs de mode (FacM), président du Festival international de la mode africaine (FIMA) et initiateur d'une caravane itinérante qui sillonne l'Afrique et les Antilles pour promouvoir les talents du continent, le couturier s'est totalement investi dans la reconnaissance d'une mode originale dont il est l'un des premiers artisans. Une mode abandonnée par les Africains et hypocritement boudée par les professionnels européens. Selon lui, la mode africaine ou métisse n'est pas reconnue au niveau international. Il est justement là pour essayer de montrer à tous et surtout à sa communauté que la mode noire existe, qu'elle est là, qu'elle est valable, qu'elle est capable. Il agit également ainsi, afin de montrer aux gouvernements que la mode peut être un important facteur de développement. « La mode, dit-il, est créatrice d'emplois. Dans chaque pays que la Caravane traverse, nous essayons aussi de lancer un ou deux créateurs nationaux et des mannequins locaux. » A la question de savoir quel regard il porte sur la mode africaine, Alphadi estime qu'elle est méconnue, même si depuis 15 ans elle commence à être appréciée. Le problème est que les Africains, eux-mêmes, n'achètent pas leurs œuvres. Ils n'achètent pas de produits africains. « Les Africains, notamment ceux de la diaspora, sont pourtant de gros consommateurs de mode, mais ils refusent de porter des créateurs inconnus. Ils choisissent leur créateur en fonction de son image, comme les grands créateurs européens. Ils n'encouragent pas la mode africaine alors que c'est celle qui leur correspondrait le mieux, dans l'inspiration et la sensibilité. Personne n'oblige nos ministres à porter du Saint Laurent ou du Pierre Cardin, et pourtant », dit-il. Le couturier estime que beaucoup de personnes jugent les couleurs africaines trop criardes. Mais il faut savoir que les couleurs des pagnes actuels ont été imposées par les colons européens, ce ne sont pas les couleurs de l'Afrique. « L'Afrique, c'est le bogolan avec deux couleurs maximum, l'ocre, l'indigo le noir ou le blanc par exemple. » « Aujourd'hui, soutient-il, l'Afrique devient à la mode. Alors, qu'on rajoute quelques broderies sur un vêtement et on dit que c'est l'Afrique. L'Afrique n'est pas une mode, c'est notre réalité de tous les jours. Une réalité définitive et éternelle. » Il n'existe pas de réelles connexions entre les créateurs africains et occidentaux. Beaucoup de créateurs étrangers essaient de copier ce que font les Africains, mais de loin. « Ils ne viennent pas personnellement, ils envoient des émissaires pour observer notre travail et prendre des photos. » Le FIMA est un outil de développement considérable. Les créateurs français font le déplacement, ils commencent à venir eux-mêmes pour voir ce que les Africains présentent lors du FIMA. Ce sont de nouveaux rapports, et l'on peut traiter d'homme à homme. Alphadi est cependant conscient d'être un porte-drapeau de la mode africaine. L'homme vient d'une famille aisée. Il a fait de hautes études mais il n'a jamais compté sur la mode pour vivre. « La consécration, avoue-t-il, c'est super, mais je n'ai pas la grosse tête par rapport à ce que je fais. Et pour moi, le combat pour la reconnaissance des créateurs africains ne fait que commencer. » R. M.