Une œuvre marquante pour le cinéma algérien. A voir en exclusivité à la Cinémathèque d'Alger.La question posée par les enfants au dernier plan du film de Brahim Tsaki Les enfants du vent (1986) a trouvé sa réponse dans le film de Tariq Teguia : Demain, qu'est-ce qu'on devient ? Les enfants du néon ont grandi depuis et vivent désormais le néant. Histoire banale : un jeune couple essaie de vivre dans l'Algérie des années 1990. Et, vivre l'enfermement, c'est bien entendu essayer de partir. A la fin, ils ne partent pas parce que le passeur a été tué. Voilà pour l'intrigue. Mais celle-ci n'est pas importante et c'est pour cela que l'on peut la divulguer. Il ne s'agit pas d'un film qui ronronne une histoire mais d'un film qui oblige à ouvrir grands les yeux et les oreilles en prenant du plaisir. Un film sensitif en effet. Teguia a réussi à mettre en image la chanson des supporters de l'USMA longtemps scandée au stade de Bologhine, face à la Méditerranée : Roma wella n'toumma. Belle chanson, beau titre à l'humour froid. « Rome plutôt que vous », comme si la ville éternelle était la pire qui pourrait arriver à cette jeunesse en mal d'être. Le film s'ouvre sur un très beau travelling silencieux en légère contre-plongée. Ce travelling énigmatique est récurrent. La prise de vue souligne la première passion de Tariq : la photo. Il a ainsi confié la direction d'image à deux photographes algériens : Nasser Medjkane et Hacène Aït Kaci, regards précieux que Téguia a su remarquer. La caméra utilisée est une mini-DV, peu onéreuse, disponible dans n'importe quelle boutique d'électroménager. Le casting du film, à l'italienne, est composé d'acteurs non professionnels, à l'exception d'Ahmed Benaïssa qui joue dans ce film la séquence de sa vie. Cependant, plusieurs d'entre eux ont un lien professionnel avec le cinéma et particulièrement la Cinémathèque. Khadra, la légendaire guichetière de la rue Ben M'hidi, joue la mère de la fille à la salopette qui n'est autre que la projectionniste Samira. Quant à Rachid Amrani, Kamel, l'ami de Zina dans le film, chômeur dans la vie, il a été trouvé dans la rue, comme Ali la Pointe dans La Bataille d'Alger. Le rythme du film est long comme le parler de Samira. Les décors sont vides, semblables à la vie du couple qui essaie de s'extirper de son présent pour aller rejoindre la chanson du stade. Une mise en scène élégante et discrète. Elle ne se manifeste que pour placer les corps dans l'espace, tantôt extérieur et grand – boulevard du Telemly, chantiers de la Madrague – et tantôt petit et exigu comme ce café transformé en commissariat ou cette pizzeria qui devient cabaret par la bande son de Cheb Azzeddine et dont le pizzaïolo de nuit est un journaliste sous-payé qui arrondit ses fins de mois. Cette séquence du film est très longue. Vingt minutes filmées en temps réel afin d'inviter les spectateurs à vivre ce que vivent Zina et Kamel dans l'Algérie en chantier. Bruits de métal, de béton, de dalles, de pneus crissant sur la piste. La caméra est embarquée. On y est. Le couple cherche une maison où se trouve Bosco qui pourrait les aider à partir. Kamel dit qu'il a oublié l'adresse : « A quoi ça sert, lui dit Zina, toutes les carcasses se ressemblent, inachevées, un étage, des garages. » Les dialogues sont minimalistes, parsemés de mots d'auteurs. Le film est tourné à Alger mais la ville n'est pas un personnage central comme chez Nadir Moknèche. Elle se résume plutôt, comme dans la vie, à un espace pour toutes les frustrations et les espoirs, même celui de quitter justement cet espace. Autre grand plaisir : le générique du film qui montre combien de talents sommeillent en Algérie. Des acteurs, techniciens, producteurs, musiciens qu'on ne connaissait pas ou peu, et qui pourtant ont représenté le pays à la dernière édition du plus ancien Festival de cinéma au monde, la prestigieuse Mostra de Venise. Notez que Roma wella n'touma est montré en exclusivité mondiale à la Cinémathèque de la rue Ben M'hidi pendant que des distributeurs européens attendent de le diffuser. Teguia a certainement marqué une date dans le cinéma algérien. Le film a été produit grâce à des petites subventions européennes et à une production qui ne misait pas sur les moyens. Tariq Teguia, Rabah Zaïmèche, Nadir Moknèche, et d'autres prouvent ainsi que le cinéma de commande est mort sauf dans l'esprit des bureaucrates. Il est temps de réfléchir à un nouveau rôle de l'Etat, actif, ouvert et bienveillant, notamment quand une génération de jeunes cinéastes piaffe d'impatience à montrer à son public et au monde ce qu'elle peut faire.