A la veille de la rentrée sociale, le sujet des retraités alimente le débat public. La situation financière de la Caisse nationale de retraite (CNR) suscite des appréciations contradictoires chez les responsables de cette caisse et ceux de la Fédération nationale des travailleurs retraités (FNTR/UGTA). En attendant la rencontre de septembre prochain, qui devra réunir les responsables de la CNR et de la FNTR avec le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, le flou continue à entourer l'état de santé réel de la CNR. A signaler tout de même qu'à l'ordre du jour de cette réunion, qui doit regrouper les acteurs du secteur, figure en bonne place la question de la revalorisation et de la réactualisation des pensions de retraite. Concernant ce dossier précis, la FNTR a déjà suggéré une revalorisation des pensions de l'ordre de 6%. Cependant, la première rencontre, tenue le 15 juillet dernier, n'avait débouché sur aucun résultat après les réticences du ministre qui avait fait état des difficultés financières de la CNR. S'agissant de l'actualisation des pensions, l'opération a commencé en 2004 et a concerné quelque 800 000 retraités. Seulement, si une partie des retraités a perçu son rappel, une autre attend toujours. La colère des retraités est à son comble, notamment dans les wilayas de Annaba et d'Oran où des manifestations ont été organisées. Mais la CNR semble privilégier le versement des pensions aux dépens de ce rappel. Néanmoins, la CNR a-t-elle vraiment un problème de trésorerie ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre, il y a problème. Celui-ci, affirment des sources syndicales, trouve son origine dans l'ordonnance 97-13 portant facilitation de départ à la retraite en proportionnelle ou sans condition d'âge. La première catégorie permet une retraite pour toute personne qui avait atteint l'âge de 50 ans avec une carrière de travail de 20 ans, alors que la deuxième tranche concerne des personnes ayant 32 ans de travail, quel que soit l'âge. Entre 1997 et 2006, la CNR avait « déboursé » 250 milliards DA pour prendre en charge ces deux catégories de retraités, mettant en péril ses capacités financières. La FNTR rassure Ainsi, la FNTR demande aujourd'hui à ce que ces deux régimes de retraite soient financés par l'Etat pour éviter une asphyxie financière de la CNR et permettre, par ricochet, une revalorisation conséquente des retraites. « Il est inacceptable que la CNR continue à supporter à elle seule le financement de ces types de retraites », contestent des syndicalistes. A cela, d'autres problèmes viennent se greffer. Trois travailleurs actifs seulement cotisent actuellement pour un retraité, alors que cette proportion était en 1984 de 8 travailleurs pour un retraité. Par ailleurs, des membres du secrétariat fédéral de la FNTR soulèvent le problème du marché du travail informel, puisque trois millions de travailleurs ne sont pas déclarés à la sécurité sociale. Autre revendication, l'affranchissement de l'impôt sur l'IRG de toutes les pensions inférieures à 15 000 DA et fixer un taux raisonnable pour toute pension supérieure à ce seuil. Mais en dépit de ces difficultés, les membres du secrétariat fédéral de la FNTR rassurent que les pensions de retraite continueront à être payées régulièrement, puisque le budget 2007 avait été voté avec un excédent d'au moins 7 milliards DA. Au chapitre des acquis en faveur des retraités, une revalorisation a touché, en 2006, les pensions et allocations de retraite avec un taux de 4%. Cette opération a profité à 1 614 487 pensionnés et son enveloppe est de 3,12 milliards DA. Afin de contribuer à la viabilité et à la pérennité du système national de retraite, un Fonds national de réserves des retraites (FNRR) a été créé en 2006. Les ressources de ce fonds sont constituées par 2% du produit de la fiscalité pétrolière et une fraction des excédents de trésorerie des caisses de sécurité sociale. L'alerte de la CNR En outre, dans le cadre de l'amélioration du pouvoir d'achat des citoyens en général et des pensionnés en particulier, il a été décidé de relever les petites pensions à travers notamment l'institution d'une indemnité complémentaire mensuelle au profit des titulaires de pensions de retraite et d'invalidité (ICPRI) dont le montant mensuel est inférieur à 10 000 DA et d'une indemnité complémentaire mensuelle au profit des titulaires d'allocations de retraite (ICAR) dont le montant mensuel est inférieur à 7000 DA. La mesure a concerné 900 000 bénéficiaires et a engendré une incidence financière de 7 milliards DA au titre du deuxième semestre 2006. Côté officiel, on n'est pas de l'avis de la FNTR et on n'affiche pas la même assurance ou les mêmes certitudes. La direction générale de la CNR a indiqué, mardi 31 juillet, que la pérennité du système national de retraite exige la « révision » de son dispositif pour assurer à long terme le paiement régulier des pensions des retraités. « Le système national de retraite a connu de sérieuses difficultés financières pour assurer le paiement régulier des pensions de retraite et n'avait cessé d'enregistrer, au fil des exercices, des déficits de plus en plus importants », a-t-on souligné de même source. Les recettes et les dépenses de la CNR ont évolué à des rythmes différents. Les recettes ont connu une croissance modérée, alors que les dépenses ont évolué beaucoup plus rapidement. Selon la même source, la croissance modérée des recettes est due d'abord à la situation générale de l'emploi, précisant que l'évolution du ratio population des retraités rapporté à la population des salariés est « assez préoccupante ». Le rapport démographique passe de 2,4 actifs cotisants pour un bénéficiaire d'une pension ou d'une allocation de retraite en 1998 à 2,80 en 2005, selon les statistiques officielles. Alors que la pérennité du système exige, selon les spécialistes, un rapport démographique de 5 actifs cotisants pour un retraité. La population active est estimée à 3 millions de travailleurs salariés pour 180 000 retraités. Le déséquilibre est dû également à la faiblesse du taux de cotisation qui n'a jamais été en adéquation avec le niveau des avantages servis par le régime de retraite et aussi aux départs précoces de la vie professionnelle de milliers de travailleurs dans le cadre du dispositif de l'ordonnance du 31 mai 1997. « En effet, chaque départ en retraite est la perte d'un cotisant », a-t-on fait remarquer, précisant que le manque à gagner en matière de recettes est estimé pour l'année 2005 à 1,14 milliard DA. La facilitation des départs à la retraite avant l'âge légal a généré une charge financière additionnelle de l'ordre de 5 milliards DA par an. Dans les pays développés, a-t-on observé, l'employeur qui facilite les départs anticipés cotise pour ne pas déséquilibrer la caisse de retraite. En raison des déficits « successifs » enregistrés par le système de retraite, la CNR a été contrainte de puiser dans ses réserves pour faire face à ses obligations, selon la même source. En 1986, la CNR disposait d'une réserve de 11,84 milliards DA qui correspondait à une couverture de 32 mois de pensions. « Ces réserves sont aujourd'hui totalement épuisées », a-t-on révélé. Pour remédier à cette situation « critique » de la CNR, la même source suggère d'« apporter des modifications au dispositif de retraite sans toucher aux fondements ». L'ombre des réformes Selon elle, il incombe aux pouvoirs publics d'apprécier les mesures idoines pour assurer la pérennité du système et la stabilité sociale, en rallongeant par exemple la durée de travail. Parmi les mesures prises pour garantir la pérennité du système national de retraite, le relèvement en 2006 du taux global de cotisation au titre de la branche retraite qui passe de 16% à 17,25% (10% employeur, 6,75% salarié et 0,50% fonds des œuvres sociales). Cette mesure « permettra ainsi au régime général de retraite de bénéficier d'un apport additionnel de ressources estimé à près de 11 milliards DA au titre de l'année 2007 ». Des spécialistes du dossier des retraités soulignent que les craintes de la direction générale semblent infondées dès lors que le budget de la CNR pour 2007 a été validé par le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale avec un excédent de 7 milliards DA. Ils rappellent les chiffres annoncés par le ministre de tutelle pour faire le bilan des caisses de la sécurité sociale pour 2005. Les recettes avaient été de l'ordre de 357,36 milliards DA, alors que les dépenses étaient de 336, 54 milliards DA. Un excédent de 21 milliards DA. En 2007, expliquent-ils, plusieurs paramètres plaident pour la bonne santé financière de la CNR. De sources officielles, disent-ils, on a annoncé la création d'un million de nouveaux postes d'emploi, ce qui engendre un million de nouveaux cotisants (une augmentation de 25%). En outre, l'augmentation des salaires décidée par le pacte social et économique en 2006 ainsi que la revalorisation du SNMG devaient déboucher sur une augmentation des cotisations. Par ailleurs, la CNR a bénéficié de 1,25% de cotisations supplémentaires puisés dans les retraites anticipées et la Caisse nationale de chômage. Ainsi, on conclut à une augmentation des recettes de la CNR, ce qui justifie sa courbe excédentaire. Nos interlocuteurs expliquent les propos alarmants de la direction générale de la CNR par une volonté de préparer l'opinion publique et surtout les retraités à une réforme du système de retraite et de la sécurité sociale en général. L'une des dispositions qui pourraient être prévues consiste à allonger l'âge légal de la retraite de 60 à 65 ans ou de réduire le taux de la pension de 80 à 75% des 5 ans de salaire. « Au lieu d'accomplir sa responsabilité sur la pérennité du système de retraite et de veiller aux cotisations, le ministère veut réformer un système qui est en équilibre », déplorent-ils. Qui a tort, qui a raison dans ce dossier aux multiples implications ? Pas évident à trancher. Néanmoins, tout le monde convient qu'aujourd'hui une retraite de travailleur ne nourrit pas son homme.