Nous sommes le 28 octobre 2004. Les terrasses et balcons d'Alger regorgent de paraboles. L'image numérique est reine. Big Brother triomphe. Il a conquis le moderne terrestre, en attendant le galactique.C'est aussi le fameux village planétaire de Mac Luhan. Nous sommes à Tunis en pleine guerre de libération. Notre combat est politique, militaire, diplomatique et médiatique. Nous nous devons d'être sur tous les fronts. Nos diplomates parviennent à faire entendre leur voix et celle de l'Algérie à l'ONU. La télévision en est au stade expérimental. Il n'y a que la presse écrite et la radio. El Moudjahid dirigé par Réda Malek paraît à Tunis. La Tunisie et l'Egypte nous offrent des horaires aménagés. Avec Abdelkader Nour, à Sawt El Arab, Aïssa Messaoudi et ses harangues, ainsi que Lamine Bechichi, à Radio Tunis. Nous sommes en 1958, dans la minuscule et pourtant célèbre Nador, au pied du Rif et près de la frontière algérienne, au sein de La voix de l'Algérie libre et combattante. Il nous fallait des studios, un centre émetteur, des ressources humaines et la logistique appropriée. J'appris qu'il y avait déjà un centre émetteur qu'il fallait rénover et adapter, car cette radio fonctionnait avant nous, avec entre autres speakers cheikh Mimoun, Abdelmadjid Meziane, Madani Houès... Je me retrouvais donc avec Kamel Daoudi, investis de nouvelles missions : il serait responsable de la chaîne kabyle et moi de la chaîne d'expression française. Aïssa Messaoudi nous y ayant rejoint, est responsable pour l'arabe classique et je dus également prendre en charge les émissions en arabe parlé. La guerre des ondes allait commencer, ou plutôt reprendre avec de nouveaux effectifs. Boualem Bessaïh, dit « Lamine » alors responsable d'un des services spéciaux du MALG, en l'occurrence la DDR, inaugura la première émission en prononçant un discours de circonstance sur les ondes. L'importance stratégique de ce qu'on appelait en code interne la RDA (radiodiffusion algérienne) fit que les deux services spéciaux de l'époque y déléguèrent des représentants. C'est ainsi que nous rejoignirent Abdenour (l'actuel ministre Hamid Temmar), remplacé par la suite par Omar, (Mohamed Merzoug, futur ministre de l'Information) qui alimentait d'excellene manière nos émissions historiques par, entre autres, « la révolution chinoise » de Mao, et Ould Kablia Dahou (actuel ministre délégué aux collectivités locales), Saïd Kechroud, frère du regretté Mohamed Kechroud et Aïcha Kechroud, alors speakerine à Radio-Alger (elak). Je rappelle que Nador abritait également le siège de Houari Boumediène et son aide de camp, Bouteflika, alias Abdelkaer. C'est en effet ici qu'accosta le yacht bourré d'armement venu du Moyen-Orient avec Houari Boumediène et Bouzar à son bord. Nécessité faisant loi, le cloisonnement était assez rigoureux, et nous n'avions pratiquement pas de contact avec eux. Oujda n'était pas loin et abritait le CDF (commandement des frontières, avec Cherif Belkacem, Omar Belmahjoub, Mesteghanemi, etc.) ainsi que la base Ben M'hidi avec Hocine (Ahmed Medeghri). Dans la périphérie de Nador, il y avait plusieurs centre d'entraînement et de formation militaires algériens, notamment Kebdani et Zghenghan. Je fus favorablement impressionné, un jour, lorsqu'un élément de la population rifaine me demanda : « Tessaoualet set mazight ? » (parles-tu tamazight ?). J'y fis la connaissance de Mohamed Fertas, dit Si Mustapha, d'Er Rahel qui sera à l'indépendance préfet de Tiaret puis député, ainsi qu'un autre Boumediène, alors responsable FLN, qui sera député et même vice-président de l'Assemblée nationale. J'y découvris, en même temps que Merzoug et Ould Kablia, le petit hameau de Beni Nsar, dont est originaire le général Meziane qui contribua à installer Franco au pouvoir, en Espagne. Voilà pour l'environnement et le panorama général. Le reste, c'est-à-dire l'essentiel pour nous, c'est l'organisation de cette guerre des ondes par « les combattants de l'ombre », comme le dit Ghouti Hassani, ex-chef de la base Didouche, à Tripoli, où ont été formés la plupart des cadres qui occuperont de hautes charges à l'indépendance. Lecture du bulletin de guerre par Khaled Tedjini suivie d'un commentaire politique, d'une harangue et d'émissions spécialisées diverses, le tout enrichi d'hymnes et chants patriotiques. J'étais à la fois producteur, speaker, harangueur, en français et en arabe algérien. Ould Kablia lisait lui-même son billet politique. Il en était de même pour Kamel Daoudi. Aïssa Messaoudi excellait dans la harangue et se surpassait ou se découvrait quotidiennement une nouvelle fibre émotive sur laquelle il surfait, dirions-nous aujourd'hui. Il est cité en exemple aujourd'hui. Il en avait le talent et le mérite. Outre les noms cités plus avant, notre équipe comprenait Abdelmadjid Houma, Khaled Safer, qui sera, à l'indépendance, directeur adjoint de Aïssa Messaoudi, à la RTA ; Kaddour Reyan, technicien, ainsi que Adnan, Farid et d'autres dont j'ai oublié le nom ou le nom de guerre. La mémoire défaillante est devenue sélective plus que de raison. Trop sélective, arbitraire même, ainsi les portraits de Abdelkader Aliane et de Bachir Meslem ou de Berdaki. Les souvenirs, parfois agréables, souvent cruels, ont tendance à s'estomper dans un clair-obscur fait de flash-back et d'images fugitives, de sons feutrés ou assourdis et de tonitruances. Je ne peux plus réapprendre la mémoire : rétrograde, antérograde ou lacunaire, elle donne l'impression de somnoler ou d'avoir une panne de connexion neuronale, puis le mot, le mot ou le nom que je cherchais revient subitement. Ainsi, comme responsables hiérarchiques, nous eûmes Moussa puis Aïssa puis Mohamed : ce n'est pas un jeu de mots (Moïse, Jésus et Mohamed), si je n'ai pas souvenance du nom de famille de Moussa, dont je conserve un excellent souvenir et qui fut du reste l'un des fondateurs des transmissions de l'ALN, l'autre c'est Aïssa Gaouar, qui fut appelé au MAE à l'indépendance, puis Mohamed Soufi, de l'ex-Wilaya VI qui fut par la suite inspecteur d'académie de Ouargla ou Laghouat. Laghouat qui nous fournit, outre le commandant des transmissions Ali Tellidji dit Omar, Moulay Kherroubi et Kaddour Reyan déjà cité. La presse française nous parvenait régulièrement (Combat, Paris Presse, L'Aurore, Le Figaro, L'Express, L'Observateur, etc.) L'écoute des radios françaises complétait notre quête d'informations. Nous avons créé une chaîne radiophonique clandestine, La voix de l'Algérie libre et combattante, nous avons un studio, nous avons un centre émetteur avec M'hamed Mekirèche, une vieille Hotchkiss et Mohamed El Gordo. Mais l'armée et l'administration françaises disposaient de moyens redoutables et gigantesques : l'aviation, les radars, la goniométrie, les outils et techniques de brouillage des fréquences hertziennes, et c'est ainsi que, quotidiennement, nos émissions subissaient des tentatives de brouillage et que nos techniciens avaient trouvé la parade pour échapper à Sihem Refki et aux bandes sans fin qui tentaient de nous parasiter. Ainsi, nous émettions sur plusieurs fréquences et, sur une même fréquence, décalage et mobilité réussissaient souvent à nous préserver des circuits de brouillage. Au plan technique, en toute objectivité, Abderrahmane Laghouati serait certainement plus qualifié pour parler de cet aspect particulier de la guerre des ondes que sont le brouillage et le contre-brouillage. Quant à moi, étant à la fois acteur et témoin, je m'efforce d'être le moins subjectif possible afin que mon témoignage ne puise être altéré par mes sympathies ou antipathies de l'époque ou d'aujourd'hui. La valeur d'un témoignage ne se mesure pas seulement à l'aune de la sincérité, mais aussi et surtout à celle de la vérité. J'estime personnellement n'avoir aucun mérite, si ce n'est celui d'avoir toujours répondu à l'appel de la patrie. Je n'en tire pas gloriole ou vanité aujourd'hui, mais humilité, sachant pertinemment ou ayant appris à savoir que c'est la conjoncture qui fait l'homme et non l'inverse. Tout est question de moment et de lieu. Et il en va ainsi de toutes les choses de la vie. Ou de la mort : l'homme en situation. L'Armée de libération nationale a été pour moi la plus grande et la plus belle école de ma vie. Elle m'a procuré à la fois les moments les plus beaux et les plus douloureux. La voix de l'Algérie libre et combattante en fut une étape, une illustration et un symbole. L'indépendance en fut une autre. La crise de l'été 1962, et « sebaâ snin barakat ». Et toutes les crises qui s'ensuivent... J'avoue que tout en écrivant ce témoignage-action, je me suis bridé et discipliné pour avoir le recul nécessaire à tout examen objectif, pour obtenir une certaine distanciation et pulser sans cesse dans ce parcours dialectique, dans cette diade inévitable « passé-présent », tout en balisant l'itinéraire pour y retrouver le factuel d'époque et le factuel d'ici et maintenant. Certes, le passéisme n'est plus de mise mais... la comparaison n'est pas en faveur du jour d'aujourd'hui mais bien d'hier et d'antan et de jadis. Comprenne qui pourra... M. T.