Entre deux fast-foods et quelques églises tout au long de Maccorkle avenue à Charleston (Virginie occidentale) apparaît un petit magasin baptisé All-n-one. Cela ressemble à un commerce ordinaire dans lequel des hommes assez sympathiques, écoutant du rock'n'roll à tue-tête, vendent des disques, des bijoux de fantaisie et des appareils photos. Ce qui paraît moins ordinaire, en revanche, est le coin réservé aux armes à feu. L'on y trouve des armes de toutes les tailles pour tous les goûts, et pour toutes les bourses. Ayant demandé au vendeur si je pouvais m'offrir un petit pistolet à 90 dollars (près de 6500 DA), il me dit que, compte tenu de mon accent, je devrais vérifier si la législation de mon pays d'origine me le permet. Il ajoute que quiconque désirant acheter une arme à feu aux Etats-Unis doit répondre à un questionnaire. Le vendeur doit s'assurer, en substance, que son client ne prend pas de drogue, ne bat pas son épouse, et qu'il n'a pas de casier judiciaire. Généralement, nous dit-on, cette opération n'est qu'une formalité. « Les vendeurs d'armes misent surtout sur l'apparence. Ils vérifient que le client parait respectable et tout ce qu'il y a de plus correct », nous dit, le sheriff de Kanawha City (à Charleston), Mike Rutherford. Selon le sheriff, la loi de Virginie occidentale est assez stricte. Et pour cause : ses habitants n'ont le droit d'acquérir qu'une arme par mois ! Il explique que la libre circulation des armes à feu n'implique pas forcément un taux de criminalité élevé. En Virginie occidentale comme dans beaucoup d'autres Etats américains, les armes font partie du paysage. Dans cette partie rurale des Etats-Unis, l'on peut en trouver même dans les lieux les plus improbables comme les grands discounts (centres commerciaux proposant des vêtements et de la nourriture à bas prix). Supermarché initialement consacré à la chasse, le Gander Mountain se vante d'avoir plus de 2000 armes à feu en stock. La gamme de ses produits varie entre le fusil Patrolman semi-automatique, les revolvers Super Redhawk jusqu'aux fusils Keystone pour enfants (rose pour les fillettes et noir pour les garçons). « Il s'agit de fusils pour entraîner les enfants à la chasse », nous dit-on. Entre culture et lobbying Pourtant, chaque année, ce sont près de 30 000 personnes qui succombent à des blessures par balles. La question des armes à feu divise les Américains. La législation, qui entoure les armes à feu, différente d'un Etat à un autre, se réfère au deuxième amendement de la Constitution américaine. Adopté le 15 décembre 1791, celui-ci stipule qu'« un milice bien organisé étant nécessaire à la sécurité d'un droit libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes, ne sera pas transgressé ». Le drame du campus universitaire de Virginia Tech dans lequel 33 personnes ont trouvé la mort en rappelle d'autres, tous aussi malheureux. Les pages de faits divers des journaux regorgent de ce genre d'histoires. Cette folie, incompréhensible, semble avoir un problème récurrent : la libre commercialisation des armes à feu. Mais beaucoup d'Américains continuent néanmoins à voir les choses d'un autre œil. Même si ces massacres ont bouleversé une bonne partie de l'opinion américaine, l'un des discours ambiants, relayé par le puissant lobby pro-armes, The National Rifle association (NRA), consiste à dire qu'il y aurait moins de victimes si tous les élèves étaient armés. Depuis sa création en 1871, la NRA s'est imposée comme l'un des plus importants lobbys américains. Il est presque impossible de se faire élire sans son soutien. Association traditionnellement républicaine, les candidats démocrates (à l'exemple de Kerry, Al Gore et Clinton) n'hésitent pas à s'exhiber, armes à la main, pour s'attirer les bonnes grâces de cette association et de ses quelque 4 millions de membres, et des milliers de sympathisants. C'est qu'aux Etats-Unis, la question des armes à feu pèse de tout son poids dans les élections présidentielles. L'on raconte qu'Al Gore a perdu des voix contre Bush à cause d'une rumeur selon laquelle il comptait, dès son élection, confisquer armes et fusils. Le cas de la Virginie occidentale est d'autant plus particulier que ses habitants sont réputés pour leur goût pour la chasse. Un célèbre chasseur Virginien, John McCoy, nous dit que les habitants de la Virginie occidentale ne voient pas les armes comme des moyens de guerre, mais comme des « outils ». « Je ne peux pas parler au nom des autres Etats ; mais pour ce qui concerne West Virginia, un pistolet n'est guère différent d'un tournevis, d'un marteau ou d'une clé. » Il poursuit : « Certains voient les armes comme quelque chose de malsain. Ils se trompent. Ce sont des objets inanimés, ce sont ceux qui les utilisent qui peuvent poser problème. En Virginie occidentale, la plupart des personnes qui possèdent des armes les utilisent pour chasser des animaux ou pour tirer sur des cibles en papier. » Dans cet Etat dit « rebelle », 80% de la population se révèle en faveur de la chasse et 57% affirme posséder un fusil. Au total, l'on y compte près de 250 000 chasseurs professionnels. « Ajoutez-y les collectionneurs, et calculez le nombre d'armes qui circulent dans l'Etat », indique M. McCoy sur un ton badin. Lui-même possède sept armes à feu dont un fusil d'assaut, un fusil à cible, trois différents pistolets, une arme de poing. Ce membre de la NRA estime que cette organisation fait un merveilleux travail de sensibilisation sur le danger des armes auprès des jeunes. Il considère néanmoins que c'est une organisation souvent « incomprise ». « Je suppose que si j'étais un membre dirigeant de cette organisation, je cesserais de dépenser l'argent et de l'énergie à supporter les candidats politiques », affirme-t-il, faisant allusion à Bush qui s'est beaucoup appuyé sur la NRA pour se faire élire. Les armes, c'est aussi, pour nombre d'Américains, un moyen de défense. Beaucoup estiment, en effet, que les Etats-Unis sont « un pays né par les armes et qu'il continuera à vivre par les armes ». Rosalie, une habitante de Charleston (capitale de la Virginie occidentale), se dit étonnée à chaque lecture de la liste des personnes possédant une arme à feu. « Il y a certaines femmes ayant plus de 70 ans qui achètent des armes pour se protéger », affirme-t-elle, effarée. Guns, god and rock'n'roll Au moment où nous avons rencontré Brack Brown, jeune papa de cinq enfants, il était encore traumatisé du vol à main armée qui est survenu dans sa pharmacie de Putnam County (à près de 20 km de Charleston) durant la semaine. L'auteur des faits, Gary Wayne Dawson Jr., voulait de l'Oxycontine, un analgésique stupéfiant très puissant, créant une forme de dépendance. « C'est la troisième fois que ça arrive. Il y a dix ans, un voleur à main armée a attaqué la pharmacie. Cette année, on a eu pas moins de deux agressions », affirme-t-il, dépité. Possédant pas mois de quatre révolvers dans sa pharmacie, il estime que c'est la seule alternative pour se protéger et pour défendre ses clients. Il raconte : « Lors des deux premières attaques, il m'était impossible de chercher mon arme. A ce moment-là, j'ai juste affiché un large sourire, disant : “Can I help you, sir ?”. Mais lors de la récente agression, j'ai échangé des coups de feu avec le braqueur, et nous nous sommes ratés. » Maintenant que Gary Dawson, le malfaiteur, a été arrêté par la police, M. Brown se dit content de l'avoir épargné, et assure qu'il continuera de « prier » pour son salut. Pour M. Brown, même si la commercialisation des armes à feu était interdite, les criminels trouveront toujours le moyen de s'en acquérir. « Mais si ça tombe entre les mains de chrétiens qui ont foi en Dieu, ce n'est pas dangereux », dit-il. Ce sympathisant dela NRA assure que la question des armes influencera toujours son choix de vote. Les défenseurs du port d'armes prétendent que cela est tout à fait légitime, puisque culturel. L'on ne saurait imaginer dans quel état serait l'Algérie si la commercialisation des armes à feu était légale. Là est peut-être toute la différence entre « eux » et « nous ».