Ali Zebboudj, le commerçant algérien d'Epinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, tué de plusieurs coups de couteau par un SDF, mardi matin, était un homme simple, plein d'abnégation et de gentillesse. Paris : De notre bureau Fils d'un Kabyle émigré en France à l'âge de douze ans, il avait une confiance inouïe en la vie, que la cinquantaine passée n'avait pas du tout émoussée. Nous l'avions rencontré il y a quelques mois dans le sud de la France, au cours d'une soirée de présentation du film documentaire Alimentation générale, tourné patiemment par Chantal Briet dans le magasin pendant quatre ans. On voyait sur l'écran défiler les clients de ce lieu improbable dans un quartier déshérité où toute animation (commerciale ou autre) avait disparu. On admirait le charisme d'Ali, beau et fier de son travail, mais qui savait être modeste dans ce havre de paix perdu au milieu de la désolation urbaine. Dans un centre commercial vétuste menacé de destruction, l'épicerie, dont on voit le déménagement au cours du film, restait avec la pharmacie le dernier endroit de rencontre, un cœur qui bat dans l'indifférence, un refuge apprécié par les jeunes et les anciens, de toutes les origines. Après la projection, le public était sous le charme, ce qui a donné lieu à un débat émouvant. L'épicier avait ensuite troqué sa blouse de commerçant pour la guitare de l'artiste. Un acte gratuit Toujours souriant et avenant, Ali Zebboudj avait cette deuxième facette : la passion du chant. Il perfectionnait son art pendant ses loisirs pour chanter dans les fêtes, les mariages et partout où on le lui demandait. Parmi son répertoire, les chansons d'Akli Yahiatène, un des auteurs-compositeurs qu'il admirait le plus au monde. L'ambiance chaleureuse est montée alors d'un cran dans le rythme de la danse, autour d'un thé. Lorsqu'on lui demandait s'il devait arrêter l'épicerie, il répondait : « Je n'y pense jamais ! Ça va vous paraître prétentieux, mais celui qui va me succéder ne restera pas longtemps. A moins que ce soit quelqu'un du quartier. » Le film avait été réalisé au lendemain des violences de l'automne 2005. Ali affirmait croire qu'« il y a de l'espoir. Ces jeunes, dont on dit tant de mal, rêvent de s'en sortir. La France est un beau pays, mais où on a du mal à positiver. Certains médias, notamment, entretiennent un climat de marasme ». Son meurtre pour une vague histoire de refus de vente d'une bouteille d'alcool à un marginal va sûrement accentuer cette sensation de malaise, vécue de façon redoublée dans une cité qui a ressenti dans sa chair la violence d'un acte gratuit et irrémédiable. Les fleurs et messages ont tapissé le trottoir mardi soir devant l'établissement aux grilles désormais abaissées. Et les larmes coulaient sur les visages. Personne, pourtant, ne veut croire que quelque chose s'est définitivement cassé avec la mort d'Ali, le grand frère, l'ami, le confident, presque le médiateur social, qui avait su transmettre le sens de l'hospitalité et du partage de ses ancêtres. Mais plus rien ne sera comme avant.