Jeudi 6 septembre. Aux environs de 17h10. Une foule se déchaîne sur l'une des grandes rues de la ville de Batna, préparée pour l'accueil populaire du président Bouteflika qui en est à son troisième et dernier jour de sa tournée à l'est du pays. Batna : De notre envoyé spécial Ce « déluge populaire » défonce le cordon de sécurité et envahit l'artère ornée de fanions pour la circonstance. Les policiers, pris de panique, ne savent plus quoi faire. Ils sont ahuris, surpris et n'ont rien compris. Certains d'entre eux essayent d'un geste inutile de récupérer leur casquette qui s'envole. D'autres tentent de maintenir les haies de sécurité en place sans y parvenir. Leur nombre aussi important reste insuffisant pour pouvoir contenir une telle foule en furie. Du milieu de la foule, des personnes crient en courant dans tous les sens : « Eharbou boumba, boumba (mettez-vous à l'abri, c'est une bombe). » Une bombe ? « Oui, c'est une bombe, il y a des morts. C'est là-bas », nous confirme, essoufflé, un citoyen au visage froissé. Et c'est la panique générale ! En un clin d'œil, les commerçants baissent rideau. Une fumée noire apparaît à une centaine de mètres du boulevard, sur la rue Larbi Tébessi, à deux enjambées du rond-point que devrait emprunter le Président pour l'accueil populaire. Le premier bus transportant des journalistes et arrivé en avance sur le reste du cortège du chef de l'Etat — lequel est encore à mi-chemin entre Oum El Bouaghi et Batna — franchit le grand boulevard au moment de l'explosion. Il se vide et se transforme aussitôt en ambulance, évacuant quatre blessés graves : une dame recouverte de fumée noire, deux vieux déformés et un jeune couvert de sang dont l'âge ne dépasse pas 18 ans. Une « grappe » de journalistes et de reporters-photographes fonce vers le lieu d'où fuyait la foule. Des gens affolés et légèrement touchés courent, d'autres secourent les blessés. Sur place, les dégâts humains sont énormes : un véritable carnage. Difficile de les dénombrer. Une centaine de personnes, peut-être plus, se trouvent par terre, gisant dans leur sang. Le trottoir et la route en bitume encore frais sont couverts de corps déchiquetés et de blessés. Des mares de sang, des morceaux de chair, des corps inertes amputés de leurs membres et des visages méconnaissables… La scène est abominable. Une odeur de sang et de chair humaine se répand dans l'atmosphère. D'un corps inerte, sans tête ni jambes, sort de la fumée. ça doit être celui de l'auteur de l'attentat. L'explosion happe une vingtaine de personnes parmi la foule. « J'ai vu la mort courir vers moi. » « Je l'ai vu, c'est un jeune de corpulence moyenne, il portait un jean noir, une chemise et une veste. J'ai vu la mort venir vers moi », lâche un blessé rencontré sur place. Un kamikaze ? Possible. Un témoin nous montre du doigt le lieu exact de la déflagration. C'est en face de la mosquée El Atik, baptisée du nom du cheikh Tahar Messaoudi, à deux pas d'un marché d'habillement. Au quartier des Anciennes casernes, comme on le surnomme ici à Batna. D'après lui, l'auteur est mort dans l'explosion. « Il s'est précipité sur la foule massée derrière les haies de sécurité attendant l'arrivée du Président et s'est fait exploser. Et les gens tombaient comme des mouches », raconte-t-il, se débarrassant de son T-shirt maculé de sang non pas parce qu'il est blessé mais parce qu'il a pris des blessés dans ses bras pour les secourir. Un autre témoin oculaire, bouclant à peine la cinquantaine, raconte avoir vu le « kamikaze » dans un café à deux pas du rassemblement. « Il était à l'intérieur, seul, habillé de manière bizarre. Trouvant son comportement et son look suspects et son accent n'est pas local, des citoyens ont alerté un policier. Dès qu'il a senti qu'il a été repéré, il a pris la fuite et s'est fait exploser au milieu de la foule », relate-t-il. L'engin explosif semble être de fabrication artisanale. « Ça doit être une bombe artisanale. Si elle était un peu plus puissante, elle aurait fait des centaines de morts, car le lieu était bondé de monde », fait remarquer un policier tout en secourant des blessés. Des citoyens aussi se mettent de la partie et donnent un coup de main en utilisant leurs véhicules pour transporter des blessés. Un vent de solidarité dans ce moment de deuil et de douleur. Le décor ravive les souvenirs de la décennie noire. La peur se réinstalle dans la capitale des Aurès. Au CHU de Batna, c'est le chaos. Les services des urgences débordent pendant que les ambulances arrivent avec d'autres blessés. A l'intérieur, c'est l'alerte générale. La débandade aussi. Surpris et choqué par le drame, le personnel médical ne sait plus quoi faire et par qui commencer. Tous les services sont ouverts aux blessés. Les services de sécurité quadrillent l'établissement sanitaire. Arrivée du Président sur les lieux. Une vingtaine de minutes plus tard, les sirènes des policiers-motards annoncent l'arrivée en ville du président Bouteflika, lui qui venait d'Oum El Bouaghi où il a effectué sa visite de travail dans la journée. Le cortège contourne le lieu de l'attentat et passe en coup de vent. Quelques minutes après, le Président se rend au chevet des victimes de l'attentat, hospitalisées au CHU de Batna. De l'hôpital, il revient au siège de la wilaya où il fait une déclaration à la télévision publique et à l'agence étatique APS dans laquelle il fustige les criminels qui tentent de saborder le processus de paix et de réconciliation nationale. Il affirme dans le sillage n'avoir aucunement l'intention de renoncer à son projet politique « bâti sur la réconciliation nationale et la sécurité pour tous les Algériens ». « La réconciliation nationale était un choix stratégique du peuple algérien, un choix irréversible », déclare-t-il devant un groupe de moudjahidine réunis au siège de la wilaya, soulignant que « les actes terroristes n'ont absolument rien de commun avec les nobles valeurs de l'Islam ». Il se rend également sur les lieux de l'attentat où il trouve une foule de citoyens qui scandait des slogans favorables à la réconciliation.