Invité par le club de la presse arabe, à l'occasion de la remise de son rapport « La France et la mondialisation » au président Sarkozy, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, socialiste, a commencé par dire qu'il n'était pas venu faire une conférence de presse sur l'actualité mais sur le rapport et sur les orientations stratégiques de la France. Toutefois, pressé par les questions des journalistes, il a estimé concernant l'Iran que le président Bush n'a pas choisi et que l'option de frappe militaire est toujours sur la table. « La décision n'est pas prise ». « Une politique étrangère américaine intelligente » sur la question « est encore possible ». « Cela consisterait à faire pour l'Iran ce que Kissinger avait fait avec la Chine en 1972 », soit « rompre avec cette politique de refuser, depuis 1979, d'avoir des relations diplomatiques avec l'Iran. L'Iran est un grand pays ». « Si un dialogue est ouvert avec l'Iran par les Etats-Unis,— la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, cela ne suffit pas — il y aurait une dynamique au sein du régime iranien. » « Je ne me résigne pas à considérer que tout est joué. » « En termes de politique étrangère qu'est-ce qui a changé sur l'Iran ? », a-t-il été demandé au conférencier. « C'est trop tôt pour le dire, cela fait des années que la France, l'Allemagne et les Etats-Unis sont dans un processus de durcissement vis-à-vis de l'Iran », a répondu M. Védrine. Et d'ajouter : « Il ne faut pas extrapoler sur les déclarations de Bernard Kouchner, on est dans un processus de durcissement des positions sur les sanctions. » Sur la politique arabe de la France, M. Védrine signale que le fait d'avoir une politique arabe « était considéré comme suspect ». « Moi je préfère une politique arabe même critiquable que celle de Bush. » M. Védrine trouve intéressante la proposition de Nicolas Sarkozy d'union méditerranéenne, parce qu'elle « n'est pas paternaliste ». « C'est une union entre Méditerranéens. La Commission et le parlement européens sont hostiles à ce projet. L'idée est porteuse d'avenir, il faut avancer. » Sur le terrorisme, M. Védrine considère qu'il est « simpliste de tout ramener au terrorisme », et de considérer la solution militaire comme seule réponse au terrorisme. « La raison pour laquelle la politique américaine est la plus sotte depuis 1945 au Moyen et au Proche-Orient c'est cet aveuglement. » « Il faut être déterminé et faire preuve de sang-froid. Il faut travailler sur les causes politiques. » Et de citer Tony Blair quand celui-ci affirme qu'« il faut être très dur avec le crime et très dur avec les causes du crime ». « Faut-il changer la posture de la politique étrangère et de sécurité de la France ? » Sur cette question de fond, M. Védrine rappelle que la France a sa propre politique étrangère depuis la Ve République, les contenus pouvant changer d'un président à l'autre, d'un ministre à l'autre. Il relève toutefois l'existence depuis quelques années parmi l'élite française de deux courants de pensée : un courant européiste, fédéraliste et un courant atlantiste. Le premier courant développé dans les années 1980, 1990 qui plaide pour une intégration de la politique étrangère de la France à l'Europe n'est plus d'actualité depuis le non à Maastricht. L'atlantisme c'est revenir à l'OTAN sans changement, relève le conférencier, qui affirme toutefois qu'une disponibilité de la France qui entraînerait une réforme du dispositif de défense atlantiste est une formule intéressante. Par ailleurs, l'atlantisme teinté d'occidentalisme conduit à aller dans le sens des néo-conservateurs américains, observe M. Védrine. « Aller vers l'occidentalisme est une mauvaise façon de défendre nos intérêts », a-t-il indiqué, soulignant que « l'occidentalisme est à l'Occident ce que l'islamisme est à l'Islam ». « C'est un débat qui n'est pas explicité. » « L'occidentalisme ce n'est pas une modernisation banale, c'est un changement de cap. » « Je ne vois pas d'intérêt pour la France de renoncer à sa politique étrangère propre. » « Chaque pays a sa politique étrangère propre. » « Cela veut-il dire statu quo ? » « Non ». « Avoir une politique étrangère propre ne signifie pas que la France doit être seule. La France a le devoir par rapport à ses ressortissants d'avoir une politique qui lui soit propre, mais cela n'empêche pas le dialogue, la coopération. » « Quels sont les intérêts de la France ? » « Le fait de dire, nous avons déterminé nos intérêts est un progrès. Les intérêts se déclinent sans fin. La politique étrangère sert à défendre nos intérêts et à avancer des idées. »