Le mur est une machine à récupérer la terre et à empêcher la paix, il impose une nouvelle frontière de facto et pose problème pour trouver une solution négociée à court terme. C'est en résumé le constat de René Backmann, rédacteur en chef du service étranger de l'hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, invité jeudi dernier au Centre culturel français à Alger, pour parler de son ouvrage Un mur en Palestine. Fort de ses 25 ans d'expérience dans le suivi du dossier palestinien, le journaliste — grand reporter depuis 1979 — analyse le « mur » et son tracé, dévoilant les réelles motivations israéliennes. La principale interrogation — confirmée au moins une fois par la Cour suprême israélienne — est que le tracé du mur est érigé en grande partie dans les territoires palestiniens. Au lieu de suivre la ligne verte — longue de 315 km et établie suite aux armistices de 1948 et de 1967 — le mur, en phase d'achèvement, s'étend sur 670 km et effectue de profondes pénétrations — allant à 35 km — dans les territoires palestiniens de Cisjordanie. Le mur ne suit la ligne verte que sur 20% de son tracé. Pour ce besoin, des milliers d'hectares seront stérilisés, des milliers d'arbres ont été arrachés, des milliers de maisons ont été détruites. Les zones fermées, coincées entre ce tracé et la ligne verte, dépassent les 48 000 ha, soit 8% de la superficie totale de la Cisjordanie qui fait à peine 140 km sur 65 km. Ce mur suit donc un parcours sinueux et cynique : annexant de facto des terres de la Cisjordanie en protégeant les 390 000 colons installés dans les blocs de colonies, hypothéquant l'avenir d'un Etat palestinien viable. Les contournements du tracé du mur suivent également les zones riches en eau, dans la même logique que l'implantation des colonies. Cette balafre géographique a aussi des conséquences sur la société palestinienne. Le mur sépare les Palestiniens d'autres Palestiniens, les agriculteurs de leurs champs, les populations des hôpitaux et des services sociaux. Pour leur part, les Israéliens ont imaginé un système d'autorisation pour les Palestiniens sur leur propre terre pour passer d'un côté à l'autre : mais il ne faut pas avoir dans la famille quelqu'un qui a participé même à une manifestation pacifique palestinienne. Ainsi, 500 000 Palestiniens vivent sous régime d'autorisation. « C'est la destruction du tissu social palestinien, une structure déjà éprouvée par l'occupation », résume René Backmann. Assistés par des ONG des droits de l'homme israéliennes et palestiniennes, ainsi que par une association de hauts officiers israéliens — qui jugent le tracé « ridicule » — des villageois ont saisi quatre-vingt fois la Cour suprême israélienne. Avec peu de succès. Saisie par l'OLP, la Cour internationale de justice, dépendante de l'ONU, a reconnu l'illégalité du mur. Mais faute de demande de délibération — notamment par les Etats arabes — ni l'Assemblée générale ni le Conseil de sécurité n'ont étudié cette question. « Il y a certes la responsabilité des Etats-Unis et de l'Europe, mais aucune action arabe contre le mur n'a été enregistrée », rappelle René Backmann. « Les Etats arabes se flattent d'être les frères des Palestiniens, mais sur la question du mur, ces derniers sont bien seuls », a-t-il ajouté.