Dans l'entretien, l'artiste est volubile comme à l'accoutumée. Il s'efforce de convaincre. Et lorsqu'il ne sesent pas suffisamment éloquent, il s'exprime en citant des vers des maîtres du chi'ir el melhoun. Quelle est votre actualité ? Je viens récemment de sortir deux cassettes avec six chansons chacune et dont les titres phares sont respectivement Laârous ou laroussa et Touhacht hnanek. Après le Ramadhan, un CD sera mis sur les étals pour une diffusion au-delà des frontières du pays. C'est un produit pur chi'ir el melhoun et bédoui oranais qui a bénéficié des arrangements musicaux de Bekay et dont la chanson phare, Oûmi, oûmi (vogue, vogue), est de Djilali. Rude est la concurrence du raï. Quelque animosité ? Aucunement. Je ne me suis pas senti frustré lorsque je suis passé en première partie de programme lors de la clôture du festival du raï. C'est que les plus âgés qui m'écoutent ne pouvaient veiller et qu'il leur fallait céder la place aux jeunes pour se défouler. Je suis content quand je vais, par exemple, à Marseille et que les vieux viennent enfin à un concert parce que j'y suis programmé. Alors grand bien face aux chebs de réussir. La seule chose que je déplore, c'est que le raï soit devenu si hégémonique par rapport aux autres genres au point d'être devenu l'expression d'un appauvrissement culturel et artistique. Ce qui me gêne, c'est d'être le dernier à chanter le bedoui oranais. Et lorsque j'interromprai ma carrière artistique, qui prendra la relève ? Tu ne t'es pas affublé du titre de cheb... Pour quoi faire ? On m'a plutôt désigné cheikh des chebs. Cela me convient mieux et j'en tire fierté. Cheikh Djilali Aïn Teddelès, ton maître, n'a pas été tendre avec les chebs en disant que « tout cheb est deb ». Il s'en est pris au roi du raï lui reprochant son ignorance, en tenant pour preuve le fait qu'il a gravement écorché un vers dans Bakhta lorsqu'il dit « Bakhta aoud el âradj », ce qui n'a aucun sens, au lieu de « Bakhta âng el âradj »... Je ne crois pas qu'il faille en vouloir à Khaled. Cette bévue, je la reproche plutôt à ceux qui lui ont remis une version altérée du chef-d'œuvre du cheikh Abdelkader Khaldi (son homonyme, ndlr). Pour moi, Khaled est un maître dans son genre. Il faut lui reconnaître le mérite d'avoir donné une audience inégalée à Bakhta ou encore Wahran, Wahran. Alors que faire pour que le bédoui oranais ne disparaisse pas ? Faut-il faire des concessions et verser un peu dans le sentimental ? Pas question et pour plusieurs raisons. D'abord, j'ai 47 ans et ce n'est pas à cet âge que je que je vais me mettre à roucouler, alors que j'ai trois enfants à l'université. On a été à l'école de la pudeur. Et puis, du sentiment, il en est question mais autrement dans le ch'ir el melhoun. Le problème, c'est qu'à cause de son lexique et de sa syntaxe, il est difficilement accessible aux jeunes. Alors, ce que je fais dans mes galas, c'est de donner du chi'ir el mefhoum de mon cru en alternance avec celui des chouyoukh. Tu fais évoluer les choses... Ah, non ! je n'irai pas jusque-là, les novateurs, ce sont Blaoui Houari et Ahmed Wahbi. Je suis seulement dans la transmission. Et pour en revenir aux raïmen, eux font leur travail pour percer personnellement et faire évoluer leur art à force de créativité. Mais nous, qu'avons-nous fait pour le nôtre ? Rien ou presque. Nous avons baissé les bras. La différence vient du fait que je suis fonctionnaire à l'instar de tous les anciens qui ont un autre métier qui les fait vivre. Nous sommes moins disponibles que les jeunes qui, eux, ne vivent que de leur art. Et s'il y a une part de responsabilité pour ce qui nous concerne, il y en a une autre de l'université qui regroupe des centaines de milliers de jeunes. Pourquoi ne nous y invite-t-on pour des causeries avec eux à propos de tel poète, de tel ou tel autre poème, dans le but de forger leur formation culturelle ? Comment faire apprécier la qualité poétique d'une chanson de chi'r el melhoum comme Heta nsit ennechoua oual bast oual houa de cheikh Boutarfa si, au départ, rien que pour ce qui est du lexique, il faut être armé d'un dictionnaire approprié pour en saisir le sens ? Cela n'est pas seulement de la responsabilité des artistes. La culture, l'art, cela se transmet aussi et s'inculque à l'école. Et puis, il y a la télévision qui demeure un vecteur essentiel. « Layali Tarab », j'en félicite les auteurs et les animateurs, est une émission qui fait beaucoup pour la musique d'écoute. Mais encore faudrait-il qu'il n'y ait pas qu'un seul numéro par mois.