En marge du spectacle qu'il a animé mercredi dernier où il a mis le feu aux planches de la salle Ibn Khaldoun, l'artiste bonois se confie... L'Expression: Lotfi, je crois savoir que vous avez déjà 14 albums sur le marché. Comment expliquez-vous cette fécondité musicale? Lotfi:C'est parce qu'il y a une demande. Parce qu'à chaque fois que tu sors une cassette, le public te demande à quand la prochaine? C'est vrai qu'il ne faut pas exagérer car chaque album a son propre concept. C'est aussi une demande de l'éditeur car malheureusement chez nous, nous n'avons pas le système du single. En France, les albums peuvent contenir jusqu'à 20 titres alors que chez nous, on produit des maxi formatés dans le genre album. Deux cassettes font un album en France. Exception faite du dernier album qui a dépassé les 9 titres. Il dépasse les 12... Ce qui fait l'originalité de Lotfi, ce sont bien les textes satiriques qui critiquent la société avec humour. Pourquoi ce choix? Je ne peux pas écrire autrement. Mes textes sont une caricature. J'aime tourner en ridicule des situations graves ou l'inverse. Je pense que c'est là où se situe ma créativité. C'est comme le journaliste. Il se peut qu'il y ait deux journalistes qui assistent à un événement mais chacun aura son style, l'un pourra le rapporter en s'amusant, l'autre avec plus de sérieux... Vous débitez des textes faramineux et «consistants». D'où vous vient cette éloquence? Le problème c'est de trouver le sujet, pas les mots. C'est l'analyse qui compte. Tout le monde possède en lui ces mots, les connaît sauf quand il s'agit de certains jargons médicaux notamment... Il faut trouver l'astuce aussi pour rester neutre, si tu veux parler des Kabyles et les opposants des Kabyles, pour ne pas dire autre chose... Il ne faut pas avoir un parti pris. Certains journalistes l'ont... Quels sont les sujets qui te touchent actuellement? La cassette est devenue aujourd'hui comme le journal. Elle a sa page rire ou détente. C'est obligé. Il y a la page qui te raconte ce qui se passe dans le pays, que ce soit dans le domaine économique ou politique, il y a la page mondiale, il y a la page culturelle, il y a la page cuisine à l'instar de «Bouraka». Justement, raconte-nous l'histoire de ce morceau. Comment t'est-il venu à l'esprit? Il m'est venu comme ça au cours d'un Ramadan. Ecrire sur la drogue, le vol, c'est devenu facile. Tout le monde écrit dans ce sens. Le plus difficile c'est de trouver un autre sujet et le développer. Quelqu'un qui écrit uniquement dans la politique, tu lui donnerais un sujet autre dans un autre domaine, peut-il le faire? d'autant qu'un journaliste est censé observer, noter... tu prends un sujet des plus banals, tu essayes de trouver les mots adéquats pour décrire à titre d'exemple la table, la bouraka qui court comme Belloumi habillée d'une gandoura... c'est de la poésie. Or, certaines personnes ne l'ont pas compris. Mais quand même, on essaye d'apprendre aux gens une nouvelle forme de poésie, c'est comme Kalila oua Demna, c'est trois fois rien mais cela a une grande signification! D'ailleurs, tu évoques Shakespeare dans une de tes chansons... Exactement. On va dire que c'est de la poésie urbaine. En dépit du fait qu'on utilise des mots de la rue, certains n'ont pas encore saisi que c'est de la poésie où l'on peut trouver la métaphore, l'ellipse, cela existe dans la poésie universelle. On ne l'a pas étudiée certes, elle est venue toute seule. On a essayé de la développer. Tu aimes «tomber» sur les gens... Tu es obligé. La critique c'est ça. Sa fonction: tu donnes un avis des gens qui se droguent, tu ne peux pas leur dire ce n'est pas bon parce que lui voit en elle du bien. Elle le fait marrer, elle l'amuse, tu ne peux pas lui dire: elle te donnera le cancer. Il te rira au nez et te répondra que l'eau du robinet peut provoquer le cancer! Tu peux citer le bon, comme le côté négatif de la drogue. Tu pèses le pour et le contre. Tu es obligé de donner ton avis maintenant partout et particulièrement en politique. Parce que si tu ne prends pas position, les gens te demanderont: et quelle est la solution? Quelle est ton actualité? Je compte sortir un album avec des morceaux que l'on a réaménagés au niveau du son et peut-être du texte. On va faire des remix carrément sur une chanson sur la Palestine entre autres, au départ le semple était celui de Beethoven, cette fois, ce sera le titre de Fayouz Zahra El Madaïn. Lotfi est en France depuis un an. Cela a-t-il un quelconque rapport avec tes études en géologie ou avec la musique? C'est comme une maison, elle a besoin d'un toit. On ne va pas se mentir entre Algériens. On connaît la situation dans laquelle on vit. On aime notre pays. Mais il faut évoluer. On ne va pas rester fermés sur nous-mêmes. On essaye de sortir et voir un peu le monde. On va et on revient. Le but c'est de joindre l'utile à l'agréable. Cela me permettra d'évoluer dans les milieux universitaires dans un cadre agréable. Je compte préparer mon magistère en géologie... Avec quel artiste aimerais-tu faire des duos? J'aimerai faire un duo avec Khaled. Tu n'es pas obligé de faire un tube mais tu peux délirer en chantant ensemble. Avec Baâziz aussi... les Américains, je ne pense pas, parce que la mentalité n'est pas la même. Nous n'avons pas les mêmes objectifs... Il y a eu le phénomène raï'n'be fever cet été. Penses-tu que le rap peut s'accommoder du raï? Bien sûr. Le raï fait partie de notre culture. Il est plus vieux que le rap. Nous, on aimerait bien qu'il y ait ce mélange de cultures. Maintenant, si on parle du vrai raï entre Joséphine de Réda Taliani et Khaled, je crois que c'est le premier qui tend plus vers le raï. Khaled, c'est plutôt de la world music. Exception faite pour son dernier album qui marque un retour aux sources. Quel regard portes-tu sur le rap algérien? Commercialement, il n'y a pas de marché pour le rap algérien. On ne peut dire que si Double Canon marche bien que le rap marche forcément bien et qu'il est implanté sur le marché. Double Canon ne vise pas uniquement le public rap. On vise tout le monde. Il y a des groupes qui existent mais c'est le marché qui fait défaut. Qui dit marché, dit argent. Les frais d'édition... Justement, cette chanson où tu mets en dérision l'éditeur... C'est pour dénoncer le travail de l'éditeur. Il faut savoir qu'un éditeur doit contribuer à l'essor d'une culture en l'occurrence en Algérie, même si à la base, c'est un commerçant...