Minuit et demi dans un parc en plein cœur de Lausanne. Une grande blonde en tailleur bon marché boit au goulot d'une bouteille de Malibu. Aurélie, 17 ans, fréquente le gymnase de la cité. Ce vendredi soir, comme près de 150 jeunes, elle est venue faire la fête dans le parc du centre-ville. Au programme : rires, rencontres, quelques joints et, surtout, de l'alcool. Beaucoup d'alcool. C'est le principe même du « binge drinking », ou « cuite minute » en français : se retrouver en groupe pour se saouler, rapidement et à moindre frais.Même heure, la grosse Schanze à Berne. Autre parc, autre ville, autre langue, mais même ambiance : des groupes de jeunes, entre 15 et 18 ans, se réunissent autour de leurs bouteilles. Nadia tend un gobelet de vodka aux derniers arrivants pour les inviter à rejoindre leur soirée cuite express. « Je suis fière de vider mon verre aussi vite que mon copain », raconte la collégienne. « Au début, je me disais que si j'enchaînais les cul-sec comme les autres, ça me tuerait ! Désormais, je tiens le rythme et c'est moi qui les couche à l'alcool. » Autour d'elle, une dizaine de jeunes, déjà saouls. Importé d'Angleterre, le binge drinking a été observé en Suisse pour la première fois en 1998. Mais c'est au cours des trois dernières années, qu'il a explosé, au point de devenir un véritable problème de santé publique, même s'il reste difficile à quantifier. Aujourd'hui, il touche indistinctement les jeunes des villes et des campagnes, les filles comme les garçons, les étudiants, les apprentis et les chômeurs, romands, tessinois et alémaniques. En particulier ceux dont les parents sont peu responsables. Partout, le même scénario se répète : achat d'alcool en début de soirée, puis rendez-vous entre amis, dans des parcs, des parkings, au bord d'un lac. Au vu de tous, mais loin de tout contrôle. « Ici, on n'a ni famille ni barman pour nous surveiller. On se fait notre propre bistrot et on organise notre consommation comme on veut », explique Markus, jeune Bernois. « Les mineurs sont chassés des bars. Alors on se rabat sur les parcs. » A Berne, la capitale fédérale, Nadia regarde sa montre. Deux heures du matin. Elle imagine déjà son retour à la maison : essentiel de ne pas se faire pincer « dans un état pareil » par ses parents. Elle et ses copains pensent également au lendemain. Aux excuses qu'ils devront inventer pour faire croire à leurs parents que leur mauvaise forme n'est pas liée à l'alcool mais à une énième grippe. Qu'importe, l'heure est à la fête et il ne reste que peu de temps pour finir les bouteilles. Alors les jeunes enchaînent les « shots », ces petits verres d'alcool fort qui se boivent d'un coup. Le rythme est soutenu et la tension monte, lorsque les verres de certains ne sont pas remplis assez vite. Entre deux verres, Markus se vante. Le week-end passé, il aurait vidé une bouteille et demie de Vodka. Claire, 14 ans, raconte pour sa part sa première cuite, celle qui l'a fait vomir dans les rues de Berne, il y a quelques semaines à peine. Du côté de Lausanne par contre, le jeune Charles ne fait plus le fier. Eméché, il erre seul dans le parc de Montbenon, à la recherche d'un policier. « Je me suis fait racketter ! Une racaille m'a piqué mon porte-monnaie ! » En cet instant, il se lamente comme un enfant perdu..