Si elle arrive à point nommé pour stopper la dérive du secteur public du bâtiment, la restructuration des entreprises concernées en 7 grands groupes que vient de décider le Conseil national des participations de l'Etat (CPE) pose tout de même un certain nombre de questions concernant son opportunité et, bien entendu, sa faisabilité. Concernant l'opportunité de cette énième réorganisation, c'est M. Abdelatif Benachenhou, ministre des Finances, qui l'a sans doute le mieux souligné à l'occasion de la conférence qu'il a récemment donnée au Club Excellence Management, en déclarant notamment qu'il ne connaît pas une seule entreprise algérienne de bâtiment « capable de livrer annuellement plus de 1000 logements » et qu'« il est temps de constituer de solides groupes en mesure d'assurer à la fois la quantité et la qualité, sans quoi les entreprises actuelles seraient appelées à disparaître sous l'effet de la concurrence étrangère appelée à renforcer sa présence en Algérie ». C'est un point de vue que partagent pratiquement tous les PDG des entreprises publiques d'études et de réalisation que nous avons interrogés sur la question. S'ils ne doutent pas de la nécessité de ce redéploiement ne serait-ce que parce qu'il met fin au dangereux statu quo qui a engendré la paralysie de la majorité des entreprises et bureaux d'études relevant du secteur public, ils considèrent toutefois que l'organisation projetée n'a de chance de réussir qu'à certaines conditions. La première et sans doute la plus importante à leurs yeux consiste à mettre à niveau, avant même de les redéployer, toutes les entreprises concernées en épongeant notamment leurs dettes et en les dotant d'un fonds de roulement à même de leur garantir un bon démarrage. Regrouper ces entreprises, vu l'état de déliquescence avancé dans lequel se trouvent la plupart d'entre elles, c'est aller tout droit vers l'échec, sont-ils convaincus. La seconde remarque que l'on doit au PDG d'un grand bureau national d'ingénierie a trait à la nécessité d'inclure dans chacun des 7 pôles, que le CPE envisage de créer, des entreprises de travaux publics car, dit-il, « le bâtiment est un tout où l'on doit trouver tous les corps d'état qui entrent dans la composition des logements, y compris les routes et les ouvrages d'art ». Il ajoute que « la question du bâtiment, notamment celle ayant trait à la production massive de logements, est avant tout une question de technologie et que la maîtrise du coffrage, dont la technologie ne cesse de progresser à travers le monde, est sans doute la meilleure garantie pour atteindre de bonnes performances productives tant au plan de la qualité que de la quantité ». C'est pourquoi, suggère-t-il, « il est indispensable d'accorder à l'ingénierie une place de choix à l'intérieur de chacun des groupes à créer et si nécessaire, constituer un bureau d'ingénierie très fort qui bénéficierait des moyens financiers et matériels communs aux 7 grands pôles en projet. » Un cadre au niveau d'une des SGP détenant des entreprises concernées par la restructuration considère, quant à lui, que « la réorganisation que le CPE envisage n'apportera rien de positif tant que la question du management des grands groupes qui seront créés ainsi que celui des entreprises qui les constituent n'est pas réglée. Confier ces groupes à des gestionnaires incompétents nommés uniquement sur la base de copinage et de clientélisme, c'est à l'évidence aller vers un autre échec », ajoute-t-il. Un entrepreneur privé d'une grande entreprise de BTP est, quant à lui, très sceptique quant aux chances d'avoir sa place dans l'un de ces groupes. D'un côté, affirme-t-il, « on claironne qu'il n'y a pas de différence entre l'entreprise publique et l'entreprise privée, mais comme vous le constatez, le projet de redéploiement du secteur du bâtiment, dont tout le monde parle, s'est fait sans la moindre consultation avec nous. C'est pourtant une décision lourde de conséquences pour les entreprises privées de bâtiment appelées à subir en conséquence la double concurrence du secteur public et des entreprises étrangères ». Le directeur d'une des OPGI de la wilaya d'Alger estime pour ce qui le concerne que « la création de grands pôles publics de bâtiment permettra non seulement de réaliser davantage de logements et d'équipements figurant dans les programmes de l'Etat, mais également de mieux faire face aux conséquences des catastrophes naturelles comme nous avons eu à en pâtir après le séisme du 21 mai 2003 et les inondations de Bab El Oued qui ont mis à nu la faiblesse des entreprises de bâtiment existantes. Nous avons plus que jamais besoin d'entreprises solides capables d'intervenir rapidement en mobilisant tous les corps de métiers qui entrent dans la composition du logement ». Enfin, un membre du directoire d'une SGP détenant des bureaux d'études est favorable au redéploiement, ne serait-ce que par ce qu'il peut mettre fin à l'immobilisme qui gangrène le secteur, en impulsant une nouvelle dynamique au secteur du bâtiment qui a avant tout besoin d'acquérir et de maîtriser les nouvelles technologies de construction car, affirme-t-il, « le bâtiment est avant tout une affaire de technologies et d'ingénierie en perpétuel changement. C'est pourquoi, conclut-il, l'ingénierie, la recherche, le développement et la maîtrise des nouvelles technologies de la construction devraient avoir une place de choix dans le cadre des redéploiements projetés ».