« Vingt ans après, les Algériens ne peuvent même pas trouver 50 m2 pour se réunir. » Dimanche 5 octobre, Mustapha Bouchacha, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, ne décolérait pas après l'interdiction d'une conférence débat sur les émeutes d'octobre 1988, prévue à la Fondation Friedrich Ebert d'Alger. Alors que le régime s'apprête à modifier la Constitution pour permettre au président Bouteflika de briguer un troisième mandat, les libertés ont reculé en Algérie, constatent les militants des droits de l'homme. La vie politique reste verrouillée alors qu'une partie des jeunes continue d'être tentée par la harga (l'immigration clandestine) ou, pire, par le terrorisme. On est loin de l'euphorie démocratique des années 1988 à 1991. Six jours d'émeutes, du 5 au 10 octobre 1988, sur fond de luttes au sommet, avaient ébranlé le régime. Le mouvement démarre du quartier populaire de Bab el- Oued. Des jeunes pillent et incendient les magasins d'Etat, les fameux « souks el-fellah » où il faut faire la queue – les Algériens disent « la chaîne » – pour s'approvisionner. Les jours suivants, le mouvement de révolte s'étend aux autres quartiers d'Alger et essaime dans tout le pays. Des journées de chaos sans précédent dans l'histoire de l'Algérie. Les permanences du parti unique, le Front de libération national (FLN), sont la cible des émeutiers mais aussi les administrations publiques et les commissariats de police. Le président Chadli Bendjedid décrète l'état de siège. Le rétablissement de l'ordre est confié au général Khaled Nezzar. Celui-ci s'y emploie brutalement. Le bilan officiel est de 179 morts, plus de 500 selon les décomptes des militants des droits de l'homme. On compte des milliers d'arrestations tandis que se propagent des révélations sur la pratique de la torture à large échelle. Le 10 octobre, à l'appel d'Ali Benhadj, un jeune prédicateur qui deviendra célèbre, des milliers de personnes se rassemblent à Belcourt et commencent une marche silencieuse vers Bab el-Oued qui tourne au carnage. Un franc-tireur ouvre le feu, les militaires ripostent : 36 personnes sont tuées, dont un jeune journaliste. Le soir, dans une adresse diffusée par la télévision algérienne, le président Bendjedid annonce qu'un « projet de réforme politique dans tous les domaines sera prochainement soumis au peuple ». Le système de parti unique a vécu. Au niveau de la présidence de la République, un petit cercle de réformateurs, dirigé par Mouloud Hamrouche, en profite pour bousculer le statu quo. « Les émeutes se sont transformées en action politique. Comme toutes les équipes étaient en conflit, les réformateurs ont pu pousser le président vers l'ouverture », explique Ghazi Hidouci, ancien ministre de l'économie, qui faisait partie de ce groupe de réformateurs. Le multipartisme est reconnu, les opposants historiques, comme Hocine Aït Ahmed ou Ahmed Ben Bella, rentrent au pays. La presse d'Etat s'ouvre, en attendant l'émergence de la presse privée. D'octobre 1988 à décembre 1991, le pays connaît une effervescence politique considérable. Après des années de parti unique, les Algériens discutent de tout… Une nouvelle Constitution, celle du 23 février 1989, largement inspirée du modèle français, consacre les libertés et institue la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale. Vingt ans plus tard, les Algériens sont désenchantés. Les promesses démocratiques font partie du passé. Reste la presse privée – qui a adopté profil bas ces dernières années – et quelques syndicats autonomes tenaces. Le multipartisme est officiellement en vigueur, mais les partis sont sous contrôle. Ce qui fait dire à beaucoup d'Algériens que le parti unique n'a pas disparu mais s'est multiplié. Les événements d'octobre 1988 ont-ils été le fruit d'une révolte spontanée ou d'une manipulation d'une aile du régime contre une autre ? La chute brutale des prix du pétrole à partir de 1985 avait mis à nu la faillite générale du régime, sur fond de pénurie et de chômage généralisé. La thèse du complot semble être une lecture désenchantée à l'égard d'une révolte populaire. Le système a craqué et a permis l'émergence d'un courant islamiste souterrain mais prégnant. Abed Charef, auteur d'Octobre, un chahut de gamins (paru en 1989), dresse un constat amer : « En octobre 1988, le pays n'avait pas d'argent, mais il y avait une réelle volonté de s'en sortir. En 2008, l'Algérie a de l'argent, mais elle est incapable de se dessiner un avenir. » Amir Akef Sur le même thème : 1. Octobre 1988, le tournant : La jeunesse algéroise hachée à la mitrailleuse lourde 2. Salah-Eddine Sidhoum : 5 octobre 1988 : Espoirs, désillusions et leçons 3. Algérie, la colonisation recommencée, par Lounis Aggoun 4. Algérie : La torture reste une pratique courante. Rapport présenté au Comité contre la torture dans le cadre de l'examen du rapport périodique algérien