Et l'armée libanaise, quel sera son choix dans la poussée de fièvre que connaît le pays des Cèdres ? Ibrahim, officier, qui n'en peut plus de faire le pied de grue dans les rues de Beyrouth, balayées par le vent frais qui remonte de la mer Méditerranée : « Tout ce qui se passe ici est du désordre. Nous serons prêts à intervenir lorsqu'il le faudra. » Une capacité d'intervention qu'elle a déjà testée en janvier, lors des affrontements entre universitaires de l'opposition et pro-gouvernementaux sur le campus de l'université arabe de Beyrouth. Ils avaient dégénéré à coups de matraques, de pierres et d'armes à feu... Bilan : au moins sept morts. Le ressort de l'unité nationale s'est cassé au pays du Cèdre, reconnaît Joëlle, 22 ans, étudiante chrétienne : « A l'université arabe de Beyrouth, les étudiants de confessions différentes ne se parlent plus. Certains circulent même avec des armes et des couteaux. Avant, je ne m'intéressais pas à la religion de mon voisin. Ce n'était pas important. Aujourd'hui, oui. » Du coup, de nombreux étudiants veulent quitter le pays. « Je veux partir », témoigne Céline, autre universitaire, 20 ans. « Regardez autour de vous, la ville est triste. Les gens ne parlent que de politique et les politiciens de ce pays jouent tous aux pompiers pyromanes. » Amir aussi veut partir. « Mon avenir n'est plus ici. Pas comme ça. » Et ni les appels au calme lancés depuis quelques jours par les leaders des différents partis et factions ni la récente rencontre entre le sunnite Saad Hariri et le chiite Nabih Berri, une première à ce niveau, ne semblent y changer quelque chose. Les jeunes Libanais évoquent continuellement les armes qui circulent. Les prix augmentent sur le marché noir. Une kalachnikov se vend désormais entre 450 et 570 euros contre 80 à 120 euros avant la guerre avec Israël cet été. Et les saisies de fusils, grenades et autres missiles de contrebande se sont multipliées ces dernières semaines, affirme un officiel, alors que tous les regards se tournent vers la banlieue chiite de Beyrouth et le Hezbollah. C'est le parti de Dieu qui contrôle le trafic, complète l'officiel. « Nous sommes confrontés actuellement à un phénomène très grave, à savoir le réarmement des partis politiques, comme si nous étions condamnés à revenir 20 ans en arrière », s'est inquiété dernièrement le patriarche Sfeir. « Comme si nous n'avions tiré aucune leçon des drames et des tragédies que nous avons vécus. » Le chiite Ziad le sait. Il le sent, dit-il et ne cache pas ses intentions : « Nous sommes prêts à nous défendre et à nous sacrifier s'il le faut », lance ce serveur au chômage. Un discours qui fait peur à l'ancien combattant Ali, qui marche péniblement vers sa voiture, une vieille Mercedes rouillée et cabossée, en s'appuyant sur sa jambe en bois. « Quand la guerre a commencé, on nous disait que nous étions des héros. Aujourd'hui, je constate combien nous sommes devenus des zéros... » Patrick Vallélian, S. A. H.