Quasi habituelles sont ces images qui nous parviennent de Beyrouth et de sa banlieue. Désobéissance chronique chez les uns, résistance critique chez les autres, le Cèdre n'échappera pas une énième fois aux flammes. Rien de surprenant, presque, à ce que la crise politique qui perdure depuis plus de cinq mois dût un jour ou l'autre conduire à la désolation actuelle. La faute au Hezbollah qui avait juré de ne plus jamais retourner ses armes contre ses frères du Liban mais d'en user contre l'armée d'Israël ? Pour l'opposition libanaise anti-syrienne, il est clair que Nasrallah a tenté un véritable coup d'Etat contre le gouvernement de Fouad Siniora qui n'a rien à craindre quant à un lâchage de la part de l'Occident. Paris ne compte pas rester les bras croisés contre ce qui se passe dans sa vieille colonie et Washington exige que l'axe irano-syrien cesse d'instrumentaliser le Hezbollah chiite. Tout comme les «réformistes» qu'ils soutiennent au Liban, la paire américano-française déclare illégitime l'armement détenu par le «parti de Dieu». La question est à débattre urgemment au Conseil de sécurité, préconisent Paris et Tel-Aviv avant que la désillusion ne reprenne ses droits dans la tour de verre. Les pays qui comptent des contingents parmi les rangs de la FINUL affichent de l'hésitation, l'armée libanaise est garante du maintien de l'ordre et de la protection des institutions… en panne, la proposition de Nabih Berri demeure lettre morte. Ni dissolution du Parlement ni désignation d'un nouveau président pour le Liban, le blocage persistant a fini par inviter tous les acteurs politiques à la table de la guerre. Comme il y a de cela dix-sept ans ? Pas tout à fait, on est à l'heure d'une bataille où tous les coups sont permis. Même contre la libre pensée d'une presse libanaise qui continue de payer un lourd tribut depuis que les tentatives de «putsch militaire» sont devenues cycliques. Le Liban se sent de nouveau mal et toutes les perfusions ne sont plus de nature à le réanimer. Et pour cause, les implications régionales sont si nombreuses qu'il est difficile de pouvoir démêler les fils. S'il est vrai que beaucoup croient en une affaire interne que seuls les groupes politico-ethniques peuvent régler à l'amiable ou dans le sang, la dimension que prend le présent «conflit» au pays du Cèdre touche à la démesure. A se demander si le Liban n'est pas en train de «s'irakiser», tant il est le théâtre d'une guerre endémique que se livrent tous ceux qui s'attachent à étendre leurs hégémonies respectives. Et ce, par le biais de leurs «bras armés» déclarés ou de services secrets qui semblent avoir renoncé aux échanges d'amabilité à distance, l'heure est au corps-à-corps. Qui peut s'interposer pour que la retenue soit respectée ? La Ligue arabe, sous la présidence de l'Egyptien Amr Moussa, en laquelle le Qatar ne croit plus vraiment tant les divergences en son sein sont latentes ? Le grand frère syrien qui a affirmé qu'il ne s'agit là que d'une stricte affaire intérieure libanaise autant qu'Israël qui se lave les mains de toute incitation indirecte à la fracture interne chez son voisin libanais ? La République islamique d'Iran qui impute la responsabilité du désordre actuel à des «ingérences aventuristes» des Etats-Unis et de son fidèle allié israélien ? Tout compte fait, le pays du Cèdre reste le «ventre creux» du Proche-Orient où les hégémonistes de tous les bords s'empoignent à coups de crosse. A s'en tenir aux accusations de Washington, dont le soutien est indéfectible à l'ensemble des pays modérés de la région (l'Egypte, l'Arabie saoudite…), la «crise armée» est l'œuvre de Damas qui a pour but de revenir au Liban. Et celle de l'Iran qui voudrait étendre son influence sur toute la péninsule arabique jusqu'aux rives de la Méditerranée au bord de laquelle l'Occident, via la France, souhaiterait sceller une union aux ambitions fragiles. Ainsi, nous apprend Condoleezza Rice, l'alliance syro-iranienne -ô combien stratégique mais si paradoxale- ne souffrirait d'aucune défaillance. Et ce, bien que le régime de Bachar El Assad ait accepté l'offre d'Israël de négocier sur le plateau du Golan à travers la médiation turque. Mais, un règlement à part de cette question n'intéresserait pas grand monde. Aussi bien dans le monde sunnite que dans le monde chiite. Surtout si le volet palestinien venait à être déconsidéré et que l'administration de Tel-Aviv poursuive sa guerre contre le Hamas palestinien tout en voulant imposer le Fatah de Mahmoud Abbas comme unique partenaire de paix. Plus large qu'elle l'est aujourd'hui, la médiation du gouvernement d'Erdogan devrait-elle être au cœur de la normalisation israélo-arabe pour être acceptable aux yeux de tous ? Elle ne serait même plus à l'ordre du jour, les combats en cours à Beyrouth la tiendraient en mode pause. En attendant que les mollahs d'Iran reprennent leurs pourparlers avec les Etats-Unis sur la situation en Irak -le mouvement sadriste serait prêt à baisser ses armes sans les rendre-, et que le parti de Khaled Mechaal se sorte de la mauvaise posture dans laquelle il se trouve depuis que le gouvernement centriste d'Olmert a décidé d'épouser le radicalisme prôné par le tandem Sharon-Bush ? Au nom d'un réformisme proche-oriental que l'Occident s'esquinte à surseoir à travers son projet démocratisant, voire occidentalisant. La guerre de civilisations paraît avoir de longues nuits embrasées devant elle. A. D.