Voilà donc l'armée turque autorisée à se lancer à la poursuite des rebelles kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) qui l'avait prise pour cible. Il ne lui reste plus qu'à déterminer la manière et les autres circonstances qui relèvent de l'autorité militaire. Telle est la situation depuis dimanche quand l'état major turc a tenu un conclave présidé par le chef de l'Etat, à la suite, rappelle-t-on, d'une attaque du PKK qui avait infligé de lourdes pertes à l'armée turque. Toutefois, apprenait-on, le même jour et de la bouche même du ministre turc de la Défense, la Turquie « a des projets d'incursion en Irak », mais une action militaire n'est pas prévue « de façon urgente ». Réponse immédiate de son homologue américain : « Je suis heureux qu'il semble exprimer une réticence de leur part d'agir unilatéralement, et je pense que c'est une bonne chose ». « Je n'ai pas eu l'impression que quelque chose était imminente », a souligné Robert Gates. « Nos hommes meurent », a insisté le ministre turc de la Défense, ajoutant avoir appelé les Etats-Unis à travailler avec la Turquie sur ce problème et suggéré à M. Gates « une action contre le PKK ». Selon M. Gönül, le Premier ministre turc doit rencontrer le président américain George W. Bush le 5 novembre prochain. En ce qui concerne les Irakiens cette fois, ceux-ci semblent profondément divisés et surtout incapables de répondre militairement aux demandes pressantes du voisin. Lors d'une conférence commune avec le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, à Erbil (nord), le président irakien Jalal Talabani (un Kurde) a déclaré que « remettre les chefs du PKK à la Turquie est un fantasme qui ne se réalisera jamais ». Il a souligné que les combattants du PKK – estimés à 3500 – sont retranchés dans des zones montagneuses et difficiles d'accès. Ils évoluent dans des massifs frontaliers dont les abords sont contrôlés par les forces du Kurdistan irakien, eux-mêmes des peshmergas, parfaitement entraînés aux combats en montagne. « Malgré sa puissance, l'armée turque ne peut pas les annihiler ou les arrêter. Alors, comment pourrions-nous les arrêter et les livrer à la Turquie ? », a demandé M. Talabani. Mais, a-t-il ajouté, « s'ils veulent continuer le combat, ils doivent quitter le Kurdistan et ne pas créer de problèmes. Ils doivent retourner dans leur pays et faire ce qu'ils veulent ». M. Barzani a averti que les Kurdes irakiens défendraient leur territoire « contre toute attaque ». Il a également souligné que « si les Turcs proposent une solution politique acceptable et que le PKK refuse, alors nous considérerons le PKK comme une organisation terroriste ». Au lendemain de violents combats entre l'armée turque et les rebelles kurdes, le président Abdullah Gül recevait les chefs des partis politiques, la Turquie étant prête à payer le prix d'une opération dans le nord de l'Irak pour anéantir les camps rebelles. Dans le même temps, des milliers de personnes sont descendues dans les rues à travers la Turquie pour dénoncer le PKK et exhorter le gouvernement à agir. M. Erdogan, qui avait souhaité que l'autorisation du Parlement ne soit jamais utilisée, espérant résoudre le problème par des voies diplomatiques – qui n'ont rien donné – auprès de Baghdad et de Washington, a laissé entendre qu'une réplique immédiate n'était pas à l'ordre du jour. « Nous agirons l'esprit calme », a-t-il déclaré dimanche aux journalistes. Les chefs de l'opposition ont sommé le Premier ministre d'ordonner une opération en Irak. Mais M. Erdogan a déclaré après une réunion de crise que la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, avait demandé à Ankara d'observer une pause de quelques jours avant une éventuelle riposte. « Nous attendons des Etats-Unis qu'ils prennent des mesures rapides (contre le PKK) compte tenu de notre partenariat stratégique », a déclaré Erdogan dimanche soir, laissant entendre que la Turquie espère une intervention de Washington contre le PKK. Les Etats-Unis craignent qu'une intervention turque contre le PKK dans le nord de l'Irak déstabilise la région contrôlée par leurs alliés kurdes irakiens. Et à suivre le ministre américain de la Défense, cette pause doit servir à localiser les bases du PKK. « Ne pas avoir de cibles spécifiques entraînerait probablement de nombreux dommages collatéraux », a souligné M. Gates. Une incursion lancée dans ces conditions « serait contraire aux intérêts de la Turquie, des Etats-Unis et de l'Irak ». Est-ce suffisant pour rassurer les Turcs ? Un communiqué publié au terme d'un sommet de crise convoqué par M. Gül des dirigeants civils et militaires a souligné la détermination d'Ankara de sévir contre les rebelles retranchés en Irak. « La Turquie n'hésitera pas à payer le prix, quel qu'il soit, pour protéger son droit, son unité indivisible et ses citoyens », dit le texte. Il est vrai que les dirigeants turcs, longtemps opposés à une intervention en Irak, font face à d'incroyables pressions. Pourront-ils tenir longtemps ? Hier à Istanbul, des milliers de manifestants s'en sont pris au Premier ministre Erdogan, l'appelant à riposter sans attendre contre le PKK. « Tayyip, envoie ton fils à l'armée », ont crié les manifestants.