Comme prévu, le Parlement turc a voté hier une notion autorisant l'armée à intervenir « si nécessaire » dans le nord de l'Irak. Cette fois, la crise a été bien loin, même si la guerre n'a à vrai dire jamais cessé dans cette région du nord de l'Irak qui échappe depuis 1991 au contrôle de l'autorité centrale irakienne. Les incursions turques, même de courte durée, sont régulières et tout autant que ses menaces, surtout depuis que les Kurdes d'Irak ont décidé d'ériger certains symboles de souveraineté, prélude selon Ankara à la proclamation d'un Etat kurde indépendant. De ce côté-là, les choses ne semblent pas avoir évolué, même si l'Etat en question pourrait émerger, si jamais l'Irak venait à éclater comme l'envisage un récent vote du Sénat américain. très visiblement, la Turquie qui a, à l'œil cette question depuis 2002, a l'air décidée à briser l'étau qui semble se refermer sur elle, avec d'un côté, le vote par le Congres US d'une résolution qualifiant de génocide le massacre des populations arméniennes sous l'Empire ottoman et de l'autre la multiplication des opérations des séparatistes kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce sera alors la guerre contre tous ceux qui s'en prennent à la Turquie, même si les moyens diffèrent. Contre le PKK, l'armée turque a obtenu ce qu'elle voulait, c'est-à-dire le ralliement de la classe politique avec à sa tête son premier ministre réticent, voire opposé à toute intervention en dehors des frontières de son pays. Le consensus est cette fois-ci total et le passage par le parlement n'était qu'une simple formalité pour autoriser l'armée turque à se lancer à la poursuite des membres du PKK, qu'elle dit réfugiés dans les montagnes du Kurdistan irakien et même protégés par la population locale. Ultime précaution, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a insisté mardi, sur le fait que toute intervention aurait pour unique cible le PKK et qu'Ankara n'avait pas de prétentions territoriales sur l'Irak. Le gouvernement de M. Erdogan, sous la pression politique, affirme ne pas avoir d'autre option face à l'inaction de Washington et Baghdad pour contrer le PKK, considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis et l'Union européenne. Tayyip Erdogan a appelé mardi le gouvernement irakien et les Kurdes d'Irak à agir contre les rebelles kurdes du PKK afin d'éviter de subir les conséquences d'une possible incursion militaire de l'armée turque. « Ils doivent prendre une position claire, c'est de l'intérêt de tous », a déclaré au Parlement le Premier ministre, en appelant les Kurdes d'Irak à « coopérer » avec Ankara contre les rebelles réfugiés par milliers dans les montagnes du nord de l'Irak qu'elles contrôlent. « La direction centrale irakienne et celle de la région autonome du nord de l'Irak doivent ériger un mur épais entre elles et l'organisation terroriste », le PKK, a-t-il poursuivi. Ankara accuse les Kurdes irakiens de fournir au PKK des armes et des explosifs et Baghdad de ne pas faire assez contre cette organisation considérée comme terroriste par Washington et l'Union européenne. M. Erdogan a même parlé de « légitime défense » contre le terrorisme. Il a cependant précisé qu'un feu vert des députés n'entraînerait pas immédiatement une offensive turque. Un accord antiterroriste turco-irakien a récemment été signé, mais sa portée est limitée en ce qui concerne les Kurdes d'Irak, alliés des Américains depuis que ces derniers ont commencé à occuper le pays en 2003. Le vice-Premier ministre turc Cemil Cicek a été très clair lundi en insistant sur le fait qu'une possible incursion turque viserait uniquement le PKK, sans porter atteinte à l'intégrité du pays voisin où s'infiltrent les séparatistes. Toutefois, l'ordre d'attaquer n'a pas été donné, et il ne devrait pas l'être avant un certain délai le temps que les Irakiens ne fassent le ménage. Baghdad, qui semble avoir reçu le message, a appelé mardi Ankara à des « négociations d'urgence ». Le vice-président irakien, Tarek Al-Hachémi, pensait hier avoir convaincu Ankara d'opter pour une solution diplomatique. Le dirigeant irakien a demandé à la Turquie du temps pour régler le problème des rebelles kurdes ayant des bases arrière en Irak du nord. « Donnez-nous du temps pour coopérer avec la Turquie afin de régler ce problème qui entrave la sécurité nationale des deux pays », a déclaré Tarek Al-Hachemi. « Si le gouvernement irakien ne parvient pas à assumer ses responsabilités, la Turquie sera en droit de faire ce qui est nécessaire pour protéger ses intérêts de sécurité », a-t-il ajouté. Le président irakien, Jalal Talabani, a déclaré, quant à lui, qu'il espérait que la Turquie n'interviendrait pas militairement sur le territoire irakien. « Nous espérons que la sagesse de notre ami, le Premier ministre (turc Recep Tayyip) Erdogan sera suffisamment forte, qu'il n'y aura pas d'intervention militaire », a déclaré M. Talabani. Disant ce que la Turquie voulait entendre, le Premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, s'est dit déterminé à éradiquer les rebelles du PKK sur le sol irakien lors d'un entretien au téléphone hier avec son homologue turc. Le Premier ministre irakien a indiqué avoir donné des « instructions précises » à la direction de la région autonome du nord de l'Irak. A l'inverse, apprenait-on mardi, l'Irak défendrait sa souveraineté. Le propos est celui d'un haut responsable militaire américain. Il fait écho à ceux du vice-Premier ministre irakien Barham Salih, qui a mis en garde mardi à Londres contre toute incursion qui aurait « des conséquences graves » dans la région. En tout état de cause, il est bien difficile de croire en une simple coïncidence. La situation est d'une extrême gravité comme le prouvent les multiples appels au bon sens et à la retenue.