Alger, le 11 avril 2007. Deux attentats suicide d'une violence extrême ébranlent la capitale et réveillent les vieux démons du terrorisme. Le Palais du gouvernement et le siège de la division est de la police judiciaire ont été littéralement soufflés par deux « bombes humaines ». Le bilan est lourd : 30 morts et plus de 200 blessés. Le terrorisme, dans sa folie meurtrière, venait par ces opérations spectaculaires – fortement relayées par les médias du monde – de franchir une étape supplémentaire : l'attentat suicide. Un pas de plus dans l'horreur. Fraîchement rebaptisé « organisation Al Qaïda au Maghreb islamique », le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) signe son premier attentat kamikaze. Abdelmalek Droudkel, dit Abou Mossaab Abd El Wadoud, l'« émir » national du groupe, annonce dans son communiqué diffusé quelques heures après l'attentat, la « bonne nouvelle » aux Algériens : « (…) Et voilà que nous annonçons la bonne nouvelle à la nation de l'Islam (celle) du départ de trois istishadiyins pour exécuter une expédition qui est la première du genre (…) », indique le sinistre Droudkel. Plus loin, il annonce de futures opérations semblables : « Ayez la nouvelle de la venue des jeunes de l'Islam qui aiment la mort et le martyre comme vous aimez la vie de débauche (…). » Ces « cavaliers du martyre » s'appellent Boudina Merouane, alias Mouadh Ben Jabel, le kamikaze du Palais du gouvernement, 28 ans, issu du quartier populaire de La Montagne (Bourouba) dans la banlieue est d'Alger. Un « garçon sans histoire », selon ses voisins du quartier Al Kahf (La grotte). récidive Le second kamikaze, qui s'est fait exploser contre le commissariat de Bab Ezzouar, est Mouloud Hocine Benchihab. Le troisième, Zobir Abou Sajeeda, 34 ans, originaire de Tiaret, a préféré abandonner son véhicule bourré d'explosifs dans le quartier chic de Hydra, non loin du siège d'une ambassade (ou de la résidence du DGSN, selon certaines sources). Il sera arrêté en août par les services de sécurité et participera à l'attaque kamikaze contre un poste militaire à Lakhdaria, en convoyant le véhicule piégé. Passées la stupéfaction et la panique générales, les « jeunes recrues » du GSPC, dont on dit qu'elles étaient « inconnues » des services et « sans antécédents judiciaires » récidivent trois mois après le double attentat d'Alger. Lakhdaria, le 11 juillet. Les cendres encore fumantes du double attentat d'Alger, une caserne de l'armée située sur la RN5 essuie une attaque kamikaze. Un camion frigorifique, similaire à celui qui livre quotidiennement des produits alimentaires à la garnison explose à l'intérieur de la caserne après avoir franchi le poste de police. Dix militaires, dont des appelés du contingent, y laissent la vie, et ce, à quelques jours de la fin du service militaire et 35 d'entre eux ont été blessés. Au volant du camion de la mort, Mohamed Hafid, alias Soheib Abou Al Malih, âgé d'une vingtaine d'années, originaire de Bordj Menaïel, et qui avait rejoint le maquis un mois auparavant en compagnie de quatre de ses jeunes camarades. Le ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, indiquait que désormais « il n'était pas exclu que des groupes armés se livrent à de pareilles attaques ». Le ministre donnait l'impression d'avoir « révisé » ses positions quant à la réalité de la menace kamikaze. A Alger, trois mois auparavant, M. Zerhouni affichait une autre mine. A propos du double attentat kamikaze du 11 avril, il tentera de relativiser et d'accréditer la thèse du « kamikaze qui s'est fait exploser… à distance ». A son insu même. Et sur le ralliement annoncé du GSPC à Al Qaïda, il déclare ne pas vouloir faire le distinguo entre les deux organisations criminelles. « C'est Moussa El Hadj, El Hadj Moussa (blanc bonnet, bonnet blanc) », lançait-il après l'attentat, invitant les terroristes à se rendre ou à… se suicider. Septembre des kamikazes Batna, le 6 septembre. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, venait clore son périple de « précampagne » dans les départements de l'est du pays. Son convoi a été la cible loupée d'un kamikaze qui s'est fait exploser au milieu de la foule, une vingtaine de minutes avant l'arrivée du cortège présidentiel. Le kamikaze est « identifié » quelques heures après l'attentat, a indiqué le ministre de l'Intérieur, comme étant Belazreg Houari, alias Abou Mokdad Al Wahrani, 28 ans, originaire de l'ouest du pays. L'attentat a fait 22 morts et 107 blessés. Le président de la République dont sa personne est prise pour la première fois pour cible, retourne habilement la situation en sa faveur. L'appel à la mobilisation de la société contre les attentats kamikazes (intervenu à la veille de la rentrée sociale survoltée) s'est transformé en manifestation de soutien pour le Président et sa politique de réconciliation nationale. Deux jours après, soit le 8 septembre, les kamikazes du GSPC frappent aux portes d'Alger. Un casernement des garde-côtes à Dellys (Boumerdès) est attaqué avec un camion chargé d'explosifs. Au volant du véhicule piégé, Nabil Belkacemi, collégien de 15 ans et enfant du quartier populeux de Bachdjarah. Il se donnera Abou Mossâab Zarkaoui comme nom de guerre, en hommage sans doute à l'ex-chef d'Al Qaïda en Irak, exécuteur des trois diplomates algériens à Baghdad. L'attentat suicide qui fera 30 morts et 47 blessés intervient presque une année après le ralliement du GSPC à l'organisation Al Qaïda, le 11 septembre 2006. Propulsée au-devant de la scène, la figure juvénile de l'auteur de l'attentat a stupéfait plus d'un. Issu d'une famille moyenne, Nabil Belkacemi est réputé dans sa cité des Fonctionnaires comme un « garçon sans histoire » et « apolitique », un adolescent très estimé par sa famille et ses voisins. Sa fréquentation assidue de la mosquée du quartier Apreval et de son sulfureux imam, le conduira dans les bras du GSPC. Quelques semaines avant les examens du BEM, il séchera les cours et rejoindra définitivement les maquis avec des amis à lui, dont le fils de Ali Benhadj. Le septembre des kamikazes n'est cependant pas arrivé à son terme. Le 21 survient le troisième attentat suicide du mois. Un convoi escorté transportant deux ingénieurs français et un autre italien, employés de l'entreprise française Razel, est attaqué par un kamikaze à Lakhdaria. Les USA et l'Africom Les trois étrangers ainsi que six membres de l'escorte, des gendarmes, ont été blessés. L'attentat intervient au lendemain de l'appel lancé par le n° 2 d'Al Qaïda, Ayman Al Zawahiri, à « débarrasser » le Maghreb des Français et des Espagnols installés dans les anciennes colonies d'Afrique du Nord. Fait troublant, l'ennemi « historique » et traditionnel d'Al Qaïda, les USA, n'est plus au cœur des prêches incendiaires des chefs d'Al Qaïda. Parallèlement, les USA poursuivent leur forcing afin de trouver un pays d'accueil pour l'Africom. Le projet de commandement américain pour le continent, consistant à installer des bases militaires en Afrique et le déploiement d'une force de 25 000 hommes rencontre depuis son annonce l'hostilité de nombreux Etats africain dont l'Algérie, l'Afrique du Sud et la Libye. Présenté par les médias français comme l'« ennemi algérien de la France », Droudkel, en sous-traitant zélé d'Al Qaïda au Maghreb, mettra sa menace à exécution. Les retombées sont immédiates. Des entreprises françaises se mettent presque aussitôt au rapatriement d'une partie de leur personnel comme ADP (aéroports de Paris), prétextant des menaces d'enlèvement et créant un mouvement de panique chez les autres investisseurs étrangers. A la suite de ce dernier attentat, le parquet de Paris ouvre une « enquête » dans ce qui fut autrefois un département français, l'Algérie. Les investigations furent confiées aux services de renseignements français, la DST. Une semaine avant l'attentat, soit le 17 septembre, le Département d'Etat américain alertera ses ressortissants résidant en Algérie ou désirant s'y rendre, qu'ils doivent « évaluer attentivement les risques posés à leur sécurité personnelle ». L'avertisseur soulignait que la situation sécuritaire en Algérie restait caractérisée par « des attaques terroristes soutenues, y compris des attaques à la bombe, des faux barrages, des enlèvements, des embuscades et des assassinats qui surviennent régulièrement ».