Un ouvrage vient restituer l'œuvre de cet artiste qui a vécu dix ans en Algérie et séjourné au Moyen-Orient. Depuis son apparition dans l'Europe des Lumières et en Algérie coloniale où elle fut érigée en art quasi officiel par des institutions artistiques proches des pouvoirs publics, la peinture orientaliste défie les temps et les modes. Pour de multiples contingences idéologiques (peintres ayant suivi les militaires dès le début de la colonisation, poncifs d'un Orient fantasmé sinon de pacotille d'artistes en mal d'exotisme, représentations folkloriques ou misérabilistes des « indigènes », etc.) , elle a été longtemps frappée de préjugés hostiles dans l'Algérie indépendante. Cela n'a point dispensé quelques-uns de nos « officiels » à se réapproprier un Etienne Dinet, par exemple, dont l'œuvre s'est déplacée d'un « Orient réel » colonial à un « socialisme spécifique » musulman. Ces mêmes personnes —fort disparates dans leur inconfortable ( ?) attitude ou leurs formulations généralisantes— ont également fait bon usage des dessins, estampes et peintures de « goût français » sur tous les sujets : de l'Emir Abdelkader au vieil Alger. Une perception éloignée des diabolisations et autres pesanteurs politiques habituelles, sans parti pris sinon la passion de la connaissance et du partage, s'est heureusement développée ces dernières années. Elle a été entamée avec l'ouvrage de Nadira Laggoun, Alger dans la peinture (Ed. RSM, 2000) où l'auteur prône un autre regard sur l'Ecole d'Alger, vaste « mouvement » né dans les années vingt et ne disposant ni de doctrine ni de manifeste et regroupant non pas seulement des peintres européens en Algérie, mais aussi des Algériens. L'Année de l'Algérie en France en 2003 a redynamisé cette propension à mieux voir et penser la peinture orientaliste, notamment par la publication de superbes catalogues d'exposition dont la mémorable De Delacroix à Renoir, l'Algérie des peintres (Ed. Hazan-Institut du Monde Arabe, 2003). Dans ce cadre, on ne peut oublier la trilogie de Marion Vidal-Bué (Alger et ses peintres, L'Algérie des peintres, L'Algérie du Sud et ses peintres, Ed. Paris-Méditerranée et EDIF 2000) plaidant pour un orientalisme débarrassé des oripeaux habituels et replacé dans une continuité esthétique se poursuivant au-delà de l'indépendance. Cette historienne de l'art vient de consacrer une belle monographie à « André Suréda, peintre orientaliste, Algérie, Maroc, Tunisie, Syrie, Palestine »' (Paris, Les éditions de l'Amateur, 2007). André Suréda (Versailles, 1872-1930) est un peintre français qui vécut dans les pays arabes, du Maroc à la Syrie, à une époque cruciale de leurs histoires. Il y ramène, à compter de 1896 et jusqu'à sa mort, une réflexion originale en résonance avec les révolutions picturales du XXe siècle. En effet, à partir d'une observation très personnelle des personnages (surtout féminins), des paysages (peu nombreux), des mosquées (Ah ! « Le Dôme de la mosquée d'Omar à Jérusalem »), des cimetières (ceux d'El Kettar et de Sidi Abderrahmane à Alger sont d'une force émotive indéniable), les œuvres de cet artiste mettent en évidence à la fois des particularités locales et une pensée sous jacente. Pour procéder ainsi, il fallait une vaste culture et une réelle sympathie pour les comportements des habitants et les pays qui ne sont pas que décors et lumières. Le peintre les avait acquis sans doute par atavisme familial. D'ascendance espagnole illustre (ses parents artistes étaient proches de Goya), de longs séjours en terre d'Islam (dont une dizaine d'années en Algérie) lui ont permis de trouver une forme d'esprit qui ressemble à la sienne. Aussi, chercha t-il à approcher les échos ancestraux d'une vieille civilisation dont les dominations coloniales n'avaient pas altéré la beauté des êtres, toujours privilégiés chez Suréda) et des choses (une grande attention est accordée aux motifs végétaux), toujours situés dans des lieux adéquats leur conférant une valeur presque intemporelle. Entre érudition jamais ennuyeuse et didactisme de bon aloi, entre images foisonnantes et leçons d'explication et d'analyse, Vidal-Bué montre la grande unité thématique et stylistique du registre orientaliste de ce peintre disposant aussi de thèmes exclusivement européens. En poète, Suréda transfigure le réalisme conventionnel d'un Dinet (les deux hommes se sont connus et sont morts à une quinzaine de jours d'intervalle). A l'instar de son aîné, il s'est montré aussi un peintre littéraire en illustrant de nombreux ouvrages : Au Soleil, de Guy de Maupassant, Les Nuits d'Alger, de Louis Bertrand, les romans des frères Tharaud et de Maurice Barrès, etc. Homme simple à l'image de son visage basané, sincère comme les beautés épurées de ses personnages, étonnant est André Suréda dont l'œuvre-vie n'a jamais quitté les cimaises des expositions et de nombreux musées, y compris ceux d'Alger, de Constantine et d'Oran. Marion Vidal-Bué nous restitue ce peintre orientaliste dans un ouvrage somptueux et remarquable.