Quand l'affaire a-t-elle vraiment commencé ? Le 28 avril dernier. Lors de la Journée internationale pour le Darfour, le 28 avril, l'association l'Arche de Zoé diffuse un communiqué expliquant son projet d'« opération d'évacuation des enfants orphelins du Darfour », proposant « aux familles d'accueil qui le souhaitent, de prendre en charge dans leur foyer un enfant orphelin de moins de 5 ans, réfugié de la guerre au Darfour ». Le gouvernement français était-il au courant ? Oui. Eric Breteau, le président de l'Arche de Zoé, est reçu, en juillet, par le directeur de cabinet de Rama Yade, la secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux droits de l'homme, puis entendu en août par la brigade de protection des mineurs pour suspicions, d'activités d'intermédiaire en vue de l'adoption d'enfants du Darfour. « On a fait tout ce qu'on avait à faire pour interdire, pour empêcher cette opération, a déclaré vendredi dernier Rama Yade. Après, ils l'ont menée de manière clandestine, sans avoir prévenu personne, sans l'aval des autorités. » Maryse Cales, vice-président du Collectif des familles pour les orphelins du Darfour (Cofod), affirme au contraire : « On avait toutes les autorisations. Si la France avait voulu interdire l'opération, elle en avait les moyens. » C'est aussi ce que pense Marc Lavergne, ancien expert des Nations Unies au Darfour et administrateur de Médecins sans Frontières « L'Arche de Zoé a pu sélectionner les enfants et obtenir des visas, explique-t-il à El Watan. Sachant que faire entrer un seul Soudanais en France est presque impossible, il semblerait que cette décision n'est pas simplement administrative mais politique. Personne ne peut accorder 103 visas sans consulter le ministre des Affaires étrangères. Par ailleurs, le pilote a avoué avoir déjà effectué une vingtaine de rotations depuis l'aéroport d'Abéché, contrôlé par l'armée française… » Et les autorités tchadiennes ? L'association française Arche de Zoé les accuse de « revirement » et il semble évident, que non seulement le gouvernement était au courant mais qu'en plus, il avait, à un certain niveau, avalisé l'opération. « Le terme ‘'autorités tchadiennes'' me fait sourire : il ne faut pas concevoir le pouvoir comme un bloc homogène », précise Marc Lavergne. « En réalité, l'armée n'est pas forcément d'accord avec le Président, le président avec le gouverneur et ainsi de suite. On peut très ; bien imaginer, par exemple, que les Français aient été arrêtés parce que certaines personnes n'ont pas obtenu d'argent en contrepartie d'un laissez-passer. Ou que le président tchadien instrumentalise cette opération pour obtenir quelque chose de la France, etc. La concomitance de cette affaire avec le début des négociations de Syrte est très curieuse. Autre chose : on reste très discret sur la façon dont l'association a procédé pour faire sortir les enfants du Darfour. Or là-bas, tout est extrêmement contrôlé jusqu'au dernier petit village. » Ces enfants sont-ils vraiment orphelins ? On n'en sait rien. Toujours selon le secrétariat d'Etat aux Affaires étrangères « On ne connaît rien de leurs origines, de leur nationalité et de la réalité de leur situation familiale et communautaire ». D'après Libération, citant des sources au Tchad, certains enfants viendraient du camp de réfugiés de Farchana, entre Adré et Abéché où ils vivaient avec leurs parents. Le droit leur permet-il d'évacuer les enfants de la sorte ? Non. Dès le début, un tel projet ne pouvait pas aboutir. D'abord, le Tchad est un pays musulman qui, à ce titre, ne reconnaît pas la notion d'adoption, explique Yves Nicolin, président de l'Agence française d'adoption, dans le quotidien français La Croix. Les pays musulmans appliquent en effet la kafala, règle selon laquelle les enfants abandonnés sont confiés à d'autres personnes que les parents, mais sans que cela entraîne un nouveau lien juridique de filiation. Ensuite, ce projet aurait été irréalisable parce que, dans cette affaire, les règles internationales et les règles françaises de l'adoption n'ont pas été suivies. En matière d'adoption, c'est la Convention de La Haye de 1993 qui s'applique. Rejetée par les Etats musulmans, mais signée à ce jour par 72 Etats et ratifiée par 49 d'entre eux, dont la France, elle vise à s'assurer du consentement du pays et de la famille d'origine et des bonnes conditions d'accueil de l'enfant adopté dans le pays étranger. Que risquent les Français arrêtés ? Pour l'instant, impossible de le dire. Bruno Foucher, ambassadeur de France en visite à Abéché a prévenu qu'ils devraient « répondre de leurs actes au Tchad ». Le ministère français des Affaires étrangères a annoncé qu'une enquête pénale est actuellement en cours au Tribunal de grande instance de Paris et le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner a eu « un entretien téléphonique » avec le président tchadien Idriss Deby Itno, auquel, d'après le Quai d'Orsay, il aurait exprimé sa solidarité avec les enfants. Le gouvernement tchadien, qui les accuse de « trafic d'enfants », a annoncé qu'il sanctionnerait « sévèrement » les responsables.