L'Algérie est malade de son urbanisme et le mal dure depuis les premières années de l'indépendance. A quoi attribuez-vous la chronicité de ce mal qui a survécu aux actions multiformes que les pouvoirs publics ont engagées, notamment durant ces dix dernières années, pour l'éradiquer ? Pour bien comprendre le phénomène que vous évoquez, il faut se rendre à l'évidence que l'acte de bâtir est un acte complexe, qui requiert un professionnalisme à tous les niveaux de la chaîne des intervenants. Il faudrait, par ailleurs, disposer d'une industrie des matériaux de construction performante, d'un important réseau d'entreprises de réalisation qualifiées, d'un système de formation à la hauteur du challenge, d'une ingénierie de la construction de haut niveau et, bien entendu, d'une société civile agissant en étroite collaboration avec tous ces acteurs. Et c'est de notre capacité ou non à réunir ces facteurs favorables à l'émergence d'une industrie performante de la construction que dépendra, nous en sommes convaincus, la qualité des cadres bâtis que nous sommes appelés à édifier. Comme vous le savez, l'urbanisme ne se réduit pas seulement à un fait technique. Il est un acte de tous les jours, impliquant tous ceux qui résident et sont appelés à évoluer dans un espace donné, en partant du principe que l'intérieur d'un logement appartient à ceux qui l'occupent, mais que l'extérieur est le bien de la collectivité. Et à ce titre, une façade non achevée ou mal traitée est de nature à agresser ceux qui l'observent de l'extérieur. L'exode rural massif dès le lendemain de l'indépendance et la période d'industrialisation se sont faites au détriment d'une planification spatiale rigoureuse laissant un lourd héritage en matière d'aménagement urbain. Le désordre urbanistique s'est malheureusement accentué durant la décennie 1990, l'attention de l'Etat était en cette période d'insécurité focalisée sur d'autres priorités. Nos villes et nos villages ont, de ce fait, subi d'insupportables excroissances sur les- quelles l'Etat ne saurait aujourd'hui fermer les yeux, d'autant plus que la croissance urbaine que ne manqueront pas d'induire les programmes d'habitat et d'infrastructures en cours de réalisation, requiert une maîtrise sans faille du processus de développement de nos agglomérations. Avec quels instruments comptez-vous assurer cette veille urbanistique ? Nous disposons d'outils nécessaires à cette veille, mais le véritable enjeu consiste à les appliquer efficacement sur le terrain. Il faut, en effet, savoir que pratiquement toutes nos communes disposent d'un plan directeur d'aménagement et d'urbanisme (PDAU) et pour certaines de plans d'occupation des sols (POS) qui leur sont liés. Ces instruments sont censés constituer les pièces maîtresses de planification urbaine, en ce sens, qu'ils déterminent l'avenir des zones à aménager à court, moyen et long termes, ainsi que les périmètres qui ne doivent en aucun cas recevoir de constructions. Nous avons entrepris une vaste opération de rattrapage, notamment en matière de plan d'occupation de sols, qui nous permettra une fois achevé de disposer d'instruments d'occupation spatiale et de maîtrise de la croissance urbaine, beaucoup plus fiables. La mise en œuvre des instruments d'urbanisme est, malheureusement, souvent contrariée par les « coups partis » qui compromettent la cohérence de l'aménagement spatial, mais aussi et surtout, par l'indisponibilité de plans cadastraux précisant le statut du foncier urbanisable. Le cadastre est en phase avancée d'élaboration. Une fois achevé, il rendra, nous en sommes convaincus, d'immenses services à l'urbanisme. Outre le manque de fiabilité de ces plans d'urbanisme directeurs, pour la plupart élaborés durant la décennie 1990, leur mise en œuvre bute également sur l'obligation qui leur est faite, depuis le violent tremblement de terre de Boumerdès, d'adosser aux PDAU des études tenant compte des aléas sismiques auxquels sont exposées les zones à urbaniser. Je tiens à rappeler que l'usage des sols n'est pas une prérogative de l'individu mais celle de la collectivité, en ce sens que, quand bien même une personne disposerait d'un terrain à bâtir en toute propriété, elle ne pourra en faire usage qu'après accord des pouvoirs publics qui exigeront d'elle le strict respect du PDAU et du plan d'occupation du sol. Combien de constructeurs tiennent compte de ces exigences ? L'état de déliquescence dans lequel se trouve notre urbanisme en est sans doute la réponse. Pratiquement tous les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays ont affirmé leur volonté de lutter contre l'urbanisation sauvage et tout un arsenal législatif et réglementaire a été produit à cet effet. Comment expliquez-vous alors cette incapacité des pouvoirs publics à dissuader les contrevenants ? La loi 90-29 du 1er décembre 1990 a effectivement fixé, on ne peut plus clairement, les modalités d'élaboration et d'approbation des plans directeurs d'aménagement et d'urbanisme ainsi que celles des plans d'occupation des sols qui leur sont liés. Elle a également fixé les modalités d'obtention du permis de construire, du permis de lotir, et celles du certificat de conformité. Mais combien d'individus respectent ces exigences légales ? Certainement très peu, le constat étant que la plupart des autoconstructeurs sont, au regard de la législation, propriétaires du terrain mais rarement de la bâtisse, cette dernière ne disposant pas d'un certificat de conformité. Les procédures fixées par cette loi ayant perdu de leur efficacité au bout d'une décennie, il a fallu l'amender en avril 2004 pour notamment donner prérogative aux présidents d'APC de démolir les constructions illicites 8 jours après la réception du constat de l'inspection de l'urbanisme, le wali étant autorisé à se substituer à lui , au bout d'un mois, en cas de défaillance. Nous jugerons de l'efficacité de ce dispositif au terme d'une évaluation que nous effectuerons très prochainement Internet a rendu courant l'usage de la photo satellite, pourquoi les services chargés de la lutte contre les constructions illicites se privent- ils, selon vous, de ce moyen efficace de surveillance ? Je vous remercie de m'interroger sur cette importante question sur laquelle nous avons commencé à travailler. Juste avant de m'entretenir avec vous, j'étais précisément en réunion avec les responsables de l'Agence spatiale algérienne (ASAL), dans le but de développer avec eux trois axes de collaborations. Le premier a trait à la mise en place d'un système d'informations géographiques (SIG) pour le suivi efficace des projets d'habitat et d'urbanisme en cours. Le second axe se rapporte à l'élaboration d'instruments de contrôle urbanistique à partir du traitement de photos satellites en temps réel ou, en tout cas, très actuelles. Le troisième axe concerne la collaboration avec l'ASAL, qui vise le suivi de l'évolution de cet habitat illicite, parmi lequel les bidonvilles pour les éradiquer, avant qu'ils ne prennent de l'ampleur. La photo satellite nous permettra de repérer, de contrôler et par conséquent de traiter avec davantage d'efficacité le problème de l'habitat précaire et de la construction en général, dont souffrent pratiquement toutes les villes algériennes. Eu égard aux nombreux « coups partis » qui défigurent l'urbanisme de nos villes, ne pensez-vous pas qu'il est, aujourd'hui, grand temps de réfléchir aux meilleurs moyens d'intégrer les quartiers spontanés aux tissus urbains existants plutôt que de les maintenir dans l'état de marginalisation que leur confère leur statut de construction illicite ? Sur instruction du président de la République qui a été le premier à avoir fait le constat de la déliquescence de notre cadre bâti, lors des dernières assises nationales sur l'architecture et l'urbanisme, mon département ministériel a travaillé sur un projet de loi visant à encadrer le parachèvement des constructions. Le dispositif complet élaboré à cet effet, sera prochainement soumis au gouvernement. Ce dispositif vise, vous l'avez compris, à améliorer notre cadre de vie et l'esthétique des villes. L'urbanisme étant un acte civilisationnel qui véhicule toute une culture, il est important de le réhabiliter aux yeux du citoyen appelé à vivre en communauté, avec tout ce que cela exige en termes d'éthique, de respect de l'autre et de la loi. Du fait que les instruments d'urbanisme suscitent débat et concertation avant leur adoption, l'urbanisme se présente comme un cas concret de pratique de la démocratie. Une fois adoptés, ces instruments ont force de loi, censée être appliquée par toute la collectivité.