La libéralisation de l'économie a balayé dans sa trajectoire beaucoup de schémas institutionnels laborieusement élaborés à l'ère de l'économie dirigée qui ne cadraient plus avec l'air du temps. Le problème est que les nouveaux mécanismes qui ont pris place à l'endroit de ces autorités en fin de mission n'ont pas fait l'objet d'une cogitation nourrie tant par les spécialistes que par le public d'une manière générale. C'est ainsi que la sphère économique aussi bien dans sa déclinaison réelle que financière s'est retrouvée dotée de régulateurs d'un nouveau genre avec de larges pouvoirs sans que quelque part l'on éprouve le besoin d'en faire la présentation aux utilisateurs. On s'est dit après tout, « nul n'est censé ignorer la loi ». Seulement voilà, la loi n'est pas ignorée mais elle n'est pas comprise comme elle devrait l'être par les assujettis qui voient proliférer des " objets juridiques non identifiés " au sens où ils ne constituent pas des catégories juridiques consacrées par le droit positif. Dans un contexte de passage d'un ordre économique régenté par l'Etat dans ses moindres manifestations à un ordre économique en partage avec des acteurs privés, les règles de gestion devaient nécessairement épouser cette nouvelle donne. Le juge qui a été jusqu'à présent confiné dans un rôle purement judiciaire, sa fonction étant de dire la loi, est devenu un faiseur de l'économie puisqu'on le retrouve maintenant paré d'un habit de régulateur. Les autorités de régulation qu'on désigne aussi par autorités administratives indépendantes ne sont pas toutes synchronisées sur le même modèle. On ne retrouve pas la présence des juges dans tous les collèges des autorités existantes et elles sont nombreuses. On dénombre dans la sphère financière : le conseil de la monnaie et du crédit (CMC), la commission bancaire, la commission d'organisation et de surveillance des opérations de bourse (Cosob), le conseil national des assurances (CNA), la commission de supervision des assurances (non encore mise en place) ; dans la sphère économique et commerciale : le conseil de la concurrence (en attente de désignation des membres), l'autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT), l'agence de régulation des hydrocarbures (AGH), la commission de régulation de l'électricité et du gaz (CREG)… Les autorités de régulation des secteurs de l'énergie, des télécommunications et de la poste n'ont pas intégrées les juges dans leurs collèges. La création de ces autorités administratives indépendantes spécifiques dont certaines sont investies de pouvoirs d'injonction et de sanction était certainement inspirée de la volonté d'accroître l'efficacité de la régulation économique en réduisant le penchant de l'Etat à intervenir là où il ne faut pas. Dans le rapport efficacité/garantie, le choix du législateur a été de contourner et l'administration et dans certaines situations les juridictions elles-mêmes supposées inefficaces ou inadaptées à la fonction spécifique de régulation. Le désengagement de l'Etat à travers sa lourde mécanique administrative ne serait pas réel s'il n'est pas accompagné également d'un transfert de prérogatives de puissance publique vers ces autorités de régulation indépendantes. La question qui vient immédiatement à l'esprit est de se dire à quoi sert le juge dans un mécanisme essentiellement économique et que peut-il apporter ? Le contentieux généré par ces autorités n'est pas en l'état actuel du fonctionnement de l'économie assez significatif pour évaluer sa participation dans l'élaboration de la décision du régulateur. La désignation des juges comme régulateurs procède à non point douter de la précaution de s'assurer que l'examen qu'ils effectuent confère à la décision la régularité avec la loi et qu'elle a été prise selon une procédure correcte. Autrement dit, elle respecte pour l'essentiel le principe de contradiction et le principe d'égalité. Chargées de veiller à la protection de l'investisseur, du consommateur ou de l'épargnant, les autorités de régulation qui accueillent dans leurs collèges la présence d'un juge rehaussent au regard de ces impératifs essentiels l'examen critique de l'ensemble du mécanisme qui conduit à la formalisation de ce qui est imposé aux opérateurs. L'aptitude du juge à comprendre les domaines et les techniques de la régulation combinée à son intelligence des données économiques structure au mieux l'action de l'autorité de régulation. En s'immisçant dans des questions techniques dans les secteurs de l'économie, de la finance ou de la bourse, le juge engage son crédit et s'offre à la critique des spécialistes et des professionnels. La configuration et l'action des autorités administratives indépendantes nécessitent certainement un bilan d'étape pour mieux recadrer l'économie nationale de marché.