Le parquet d'Alger a ordonné l'ouverture d'une information judiciaire sur les circonstances du naufrage du navire Béchar appartenant à la Cnan et a confié l'enquête à la Gendarmerie nationale, a-t-on appris de source judiciaire. Celle-ci a affirmé que « des instructions ont été données par les plus hautes autorités du pays afin que toute la lumière soit faite sur cette tragédie » qui a coûté la vie à trois marins et causé la disparition de treize autres dont les corps n'ont toujours pas été retrouvés par les secouristes. L'équipe de recherche de la Gendarmerie nationale, qui a commencé ses investigations dès lundi dernier, compte « déterminer avec exactitude les responsabilités humaines dans le naufrage du céréalier Béchar et surtout pourquoi la capitainerie n'a reçu le bulletin météo annonçant des vents violents que vers 15h de cette journée du samedi », ont précisé nos interlocuteurs qui ont expliqué que « le drame aurait pu être évité pour sauver les vies humaines ». En effet, les familles des victimes avaient affirmé avoir reçu des appels téléphoniques de leurs proches durant la journée du samedi aux environs de 15h les informant de la catastrophe. « Mon frère m'a appelé à 15h et il ne cessait de me répéter que l'équipage n'arrivait plus à contrôler le navire. La capitainerie était également informée, mais les officiers les rassuraient en leur annonçant l'arrivée des remorqueurs, lesquels n'ont intervenu qu'au- delà de 19h, lorsque la tempête était à son point culminant », a déclaré la sœur d'un marin porté disparu. Pourtant, hier matin, le président-directeur général de la Cnan, M. Koudjil, a jeté un pavé dans la mare en pointant un doigt accusateur en direction du commandant du navire. S'exprimant sur les ondes de la chaîne III, le PDG a déclaré : « Le commandant n'a informé la capitainerie qu'après avoir perdu le contrôle de son navire. Lorsque les remorqueurs de l'EPAL sont arrivés, c'était trop tard. Les vents étaient violents et les vagues atteignaient les 8 mètres de hauteur (...). » Il a écarté toute relation de ce naufrage avec l'état vétuste des navires. Or, tout le monde sait que le Béchar et le Batna étaient en état de désinvestissement et attendaient juste la décision des pouvoirs publics pour être mis en vente. « Les deux navires étaient en rade et ne devaient pas avoir à leur bord les équipages. Si le Batna n'a pas coulé, c'est uniquement parce qu'il a chaviré vers le sable. Le Béchar pour sa part, a heurté les rochers de la jetée Kheireddine. Sa coque assez vétuste n'a pu résister au choc. Il est important de préciser que les deux bateaux étaient avant en arrêt pour une réparation technique », a expliqué un ancien officier de la marine marchande. Des révélations qui sont en porte-à -faux avec celles du PDG de la Cnan, M. Koudjil, et dont les propos à la radio ont laissé perplexes les familles des victimes. Celles-ci sont décidées à se constituer en collectif pour « exiger la vérité et des sanctions contre ceux qui ont failli à leur mission dans la sauvegarde des vies humaines ». Pour l'instant, nos sources ont estimé que la responsabilité dans cette catastrophe « reste partagée ». Pour elles, plusieurs intervenants auraient pu sauver les marins d'une mort certaine. « D'abord, l'entreprise portuaire qui aurait dû alerter le commandant du navire dès la matinée du samedi de la violente tempête qui allait balayer la baie d'Alger. Cette entreprise devrait en principe être capable d'intervenir avec les moyens adéquats pour remorquer, en cas de nécessité, des navires vers des zones plus sécurisées. En second lieu, il est important de noter la responsabilité des garde-côtes, de la marine nationale et de la Cnan qui n'ont pas réagi à temps pour organiser le remorquage des navires en détresse. Comment peut-on croire un seul instant que l'unique responsable est le commandant de bord ? », s'est interrogé notre source arguant du fait que les appels de détresse de cet officier de la marine marchande ont été lancés au moins 13 heures avant l'arrivée des remorqueurs de l'EPAL. « Les enregistrements vocaux doivent exister au niveau de la capitainerie et démontrent qu'en cette journée du samedi il y a eu une négligence mortelle qu'il faudra déterminer pour juger les auteurs. Le règne de l'impunité doit être aboli. Il y a eu mort d'hommes qu'il est impossible de pardonner », a conclu notre source. A la lumière de ces premiers éléments de l'enquête, force est de croire encore une fois que les leçons des différentes catastrophes qui ont marqué l'Algérie ces dernières années n'ont pas été tirées. En dépit des moyens financiers colossaux dépensés pour s'équiper en matériel d'intervention en cas de catastrophe et dans des formations d'équipes de secours, l'Algérie reste impuissante devant les situations d'urgence. Les manœuvres communes entre la marine nationale et l'Otan de sauvetage en haute mer et les hélicoptères d'intervention en mer achetés au prix fort par la Protection civile n'ont malheureusement servi à rien.