Il y a une année, le 13 novembre 2004, les Algérois assistaient, impuissants, à la mort de 18 marins de la compagnie de navigation CNAN, emportés par de violentes vagues soulevées par une tempête au port d'Alger et qui a causé le naufrage du Béchar, appartenant à la CNAN. Une tempête qui avait été pourtant annoncée par les services de la météo à travers des bulletins spéciaux. Deux mois après, l'enquête menée par les services de la Gendarmerie nationale concluait à « des négligences graves et non-assistance à personnes en danger ayant entraîné mort d'hommes ». Une cinquantaine de personnes avaient été entendues dans le cadre de cette affaire avant que le rapport ne soit remis au parquet d'Alger. Ce dernier, et après audition de nombreux cadres de la CNAN, des gardes-côtes, de l'Epal et de la capitainerie, a mis sous mandat de dépôt le staff directionnel de la compagnie maritime, à commencer par le président-directeur général. Pour les enquêteurs, le naufrage du Béchar et du Batna aurait pu être évité. Une série d'anomalies de gestion a marqué les événements de cette tragédie. La première a été la mesure prise par l'Epal d'obliger le navire Béchar à s'éloigner du port en dépit de son mauvais état. Les vagues soulevées par la tempête ont apparu dès 14h, avec le premier bulletin météo spécial (BMS), adressé à la capitainerie. Mais les secours n'ont pu être organisés qu'à partir de 19 h. Les équipes de l'Epal étaient sur les lieux occupées à faire dégager un bateau chargé de carburant et un céréalier du quai de peur d'une catastrophe en cas de choc avec d'autres navires ou avec le quai. Les spécialistes savent qu'une telle mission ne doit en aucun cas occulter ce qui est primordial dans ce genre de situation : l'assistance aux vies humaines. L'on se rappelle qu'en cette journée fatidique du 13 novembre 2004, à la veille de l'Aïd, les premiers appels au secours (il y en a eu une centaine, selon une source proche de la capitainerie) lancés par le commandant du Béchar ont débuté vers 14h, lorsque la houle commençait à faire tanguer le navire. Responsabilité partagée Ce dernier étant en panne, il ne pouvait bouger de la jetée Kheireddine, où il avait été amarré quelques jours auparavant, sur décision de l'Epal (faute de place au niveau de la rade). Il devait subir des réparations au chantier naval de l'Erenav, à Béjaïa. Raison pour laquelle, il n'avait pas son certificat de navigabilité. Le commandant, ont affirmé certains de ses collègues, aurait pu donner l'ordre à son équipage de quitter le bateau, puisque les deux marins qui ont eu la vie sauve se sont jetés à l'eau dès les premières heures de la tempête. Mais peut-être qu'il croyait fortement aux promesses de ses responsables. Jusqu'à la dernière minute du naufrage, l'officier attendait des secours qui n'arrivaient pas, jusqu'à ce que son navire percute la jetée Kheireddine. Mais quelques secondes avant de disparaître, il a lancé une phrase lourde de sens à la capitainerie à travers son poste radio : « Nouakel alikoum Rabi » (que Dieu me soit témoin). Il est important de savoir que la gestion de l'espace maritime à partir de la jetée Kheireddine relève des gardes-côtes, alors que celle de la rade incombe à l'Epal. Lorsque les premiers appels au secours commençaient à parvenir à la capitainerie et aux gardes-côtes, les responsables de la CNAN ont fait appel aux remorqueurs pour sortir le navire et l'emmener au large. Mais la réponse était toujours : « Attendez, les secours arrivent. » Lorsque les vents devinrent plus violents, les responsables de la CNAN ont fait appel aux gardes-côtes pour demander des hélicoptères de remorquage en mer que l'armée algérienne ne possède pas. C'est le chef du gouvernement qui a décidé, en fin de journée, de faire appel à son homologue espagnol pour envoyer ces fameux hélicoptères, mais c'était trop tard. Le bateau était pris au piège des vagues, qui l'ont envahi de toutes parts, jusqu'à ce qu'il coule avec, à son bord, les 18 marins. Une fin tragique qui aurait pu être évitée si les responsables de l'Epal et ceux des gardes-côtes avaient réagi rapidement pour coordonner les secours en mettant à leur disposition les moyens destinés à des situations de catastrophes maritimes. Ces mêmes appareils ont été utilisés lors de nombreuses manœuvres militaires réalisées par la Marine nationale avec les forces de l'OTAN au large de la Méditerranée. Selon les experts, il y a eu la défaillance dans le circuit de l'organisation des secours au niveau du port d'Alger. La responsabilité dans ce tragique naufrage semble partagée entre les trois parties impliquées dans cette opération. Lors de l'instruction judiciaire, seuls les cadres de la compagnie maritime CNAN ont été inculpés. Les responsables des deux autres services ont été entendus en tant que témoins. « Même si le principe de l'inculpation de ces cadres est indiscutable, celle-ci pose néanmoins le problème du recours à la détention préventive, une mesure qui est exceptionnelle, mais, du point de vue des juges, a tendance à être systématique (...) Des mises sous contrôle judiciaire auraient suffi en attendant la décision du tribunal (...) Il y a comme une volonté manifeste de faire porter le chapeau de cette affaire à une seule partie, dont la responsabilité reste difficile à prouver au vu des lois qui régissent l'espace maritime », a déclaré un des avocats. Sentiment partagé par les familles des victimes qui attendent que la justice fasse la lumière sur ce naufrage.