La nouvelle Assemblée nationale a voté sa première loi de finances. Elle a pour l'essentiel adopté les grandes orientations de l'Exécutif. Autrement dit, elle a poursuivi la politique d'abandon de ses prérogatives législatives inaugurée il y a cinq ans. En acceptant de diviser par quatre les recettes fiscales de l'Etat pour ensuite dessiner un budget en déficit. Le préjudice du prix de référence du baril de pétrole à 19 dollars, en dépit du bon sens, s'avère d'année en année lui aussi sous-évalué. Il empêche l'Etat de s'éveiller réellement à l'ère de la nouvelle finance publique dans laquelle l'Algérie est en train de rentrer. Conséquence, les « grands débats » de stratégie de dépenses publiques se déclinent petitement sur l'ordre du jour d'un examen parlementaire de loi de finances : ajouter ou pas à la vignette automobile diesel, ajouter ou pas au prix du gasoil, relever ou pas le seuil d'exonération de l'IRG pour les bas salaires, relever ou pas l'abattement sur l'IRG, rétablir ou pas l'importation des véhicules de moins de trois ans, lever ou pas la contrainte de capital social de 20 millions de dinars pour les importateurs. Il y a un décalage de thématique abyssale avec le vrai enjeu de politique publique qui s'est brutalement ouvert ces trois dernières années. La question est très simple. Lorsque le Trésor public enregistre 3000 milliards de dinars de recettes de fiscalité pétrolière de plus par an, tous les ans par rapport à une année de référence qui s'appelle 2003, ne faut-il pas inventer un autre dessein pour l'architecture budgétaire de l'avenir de l'Algérie et de son économie ? A commencer par l'architecture de sa fiscalité ordinaire. Tout le monde le dit dans les couloirs du gouvernement : l'impôt sur l'activité des entreprises est inadapté. Il empêche l'essor de l'investissement productif, il bloque le retour de l'informel dans le giron du prélèvement fiscal, il éreinte l'administration publique qui n'a toujours pas de système informatique pour suivre sa population imposable. Les excédents de recettes de la fiscalité pétrolière sont là pour longtemps. Le Trésor public peut renoncer annuellement à 500 milliards de dinars de recettes fiscales de l'économie hors hydrocarbures « et ne pas s'en apercevoir ». C'est un moment unique dans l'histoire économique d'une nation. Elle change d'échelle de revenu. Elle doit vite savoir à quoi doit-elle utiliser sa « richesse » publique. Un des mécanismes rapide et radical qui peut transformer la prospérité budgétaire actuelle en surcroît de croissance économique portée par les PME dans le moyen terme est d'organiser ce transfert de revenu Trésor public-activité de production. Le gouvernement algérien peut décider une fois pour toute, ici et maintenant, de faire un grand saut dans la « modernité normative » du marché, en décapant la fiscalité ordinaire de ses boursouflures. Il a supprimé le versement forfaitaire au temps des incertitudes de recettes. Il est en posture de se débarrasser d'une taxe comme la TAP (venue pour financer le plan de Constantine de 1958) et de réformer d'autres secteurs de son système de prélèvement afin d'asseoir l'impôt sur une extension du champ de l'activité. Pour cela, il lui manque une vision d'avenir à hauteur d'un baril à 90 dollars. Le baril à 19 dollars à l'Assemblée nationale l'enlise dans les petits calculs d'épicier. Il lui manque aussi le sens politique de l'histoire. Et là, la pénurie est absolue.