Si on s'amusait à chercher un dénominateur commun aux partis politiques engagés dans la course électorale à Constantine, on citerait alors cette expression récurrente de « travail de proximité », tellement affectionnée par les états-majors des formations en lice et qui est ressassée tel un leitmotiv. Mais comment peut-on exercer justement ce travail de proximité dans une cité tentaculaire comme la nouvelle ville Ali Mendjeli où une bonne partie des habitants continue d'en faire une simple résidence de nuit ? Comment, en effet, des candidats à la municipalité du Khroub, dont Ali Mendjeli est territorialement dépendante, peuvent-ils « vendre » leurs programmes à des électeurs peu impliqués dans cette cité, refusant de couper le cordon ombilical qui les lie à la cité-mère, la ville de Constantine en l'occurrence ? Voyage dans une ville sociologiquement si particulière et si singulière où ses résidents tanguent entre le « droit du sol » et ce lien fusionnel, visiblement immergés dans un « no man's land électoral »... Samedi 17 novembre 2007. Il est 10h à notre arrivée à Ali Mendjeli, située sur le territoire de la commune du Khroub et distante d'environ 20 km du chef-lieu de wilaya. Il pleuvait à verse et les imposantes tours de l'AADL, implantées à l'entrée de cette nouvelle ville, semblent se dresser tels des vigiles, et la première réflexion qui s'impose dès lors à l'esprit face à l'immensité des lieux c'est que c'est gigantesque ! La nouvelle ville Ali Mendjeli – du nom d'un glorieux moudjahid de la région – l'est effectivement, tout comme elle constitue également un véritable labyrinthe architectural et urbanistique avec ses innombrables et interminables chantiers. Pour les personnes de passage, retrouver actuellement son chemin dans cette mégacité s'avère difficile, compte tenu de l'absence de panneaux de signalisation, d'autant que celle-ci a pris un essor certain durant les trois dernières années. Il nous aura fallu près d'une vingtaine de minutes pour retrouver, grâce aux indications de quelques citoyens, l'antenne communale, hébergée au sein de la cité administrative, inaugurée le 17 septembre 2002 par le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Yazid Zerhouni. Une antenne à l'entrée anonyme. Sans pancarte et sans indication, à l'image de cette nouvelle ville en pleine expansion, où il est malaisé de se situer. Le difficile choix des pionniers En effet, entre logements sociaux locatifs, logements participatifs, AADL, logements promotionnels et résidentiels, la nouvelle ville Ali Mendjeli constitue un patchwork architectural bigarré : les différents promoteurs n'ayant pas lésiné, il est vrai, sur les couleurs. Bien qu'elle soit encore toute jeune, cette mégacité s'est complètement métamorphosée en sept ans d'existence et promet de devenir une « métropole » incontournable pour la population de Constantine. Un fait corroboré par l'envolée soudaine des prix de l'immobilier dans cette ville où l'on construit tous azimuts, même si les acquéreurs n'occupent pas forcément les lieux dans l'immédiat, notamment à cause de l'éloignement de la nouvelle ville du chef-lieu de wilaya. Mais pour la population des bidonvilles et celle des habitations rongées par les glissements de terrain, transférées à Ali Mendjeli, il n'y pas de choix possible. Pour l'instant du moins. Contraints de vivre dans un environnement nouveau et changeant, au gré des projets, ses habitants restent, toutefois, attachés à leur ancien quartier. Un lien fusionnel que rien pour l'heure ne semble briser. Dès lors, les privilèges du « droit du sol » qu'offre cette nouvelle appartenance à la communauté du Khroub ne semble guère enthousiasmer cette génération de pionniers déplacée vers Ali Mendjeli et qui continue d'accomplir son droit électoral au niveau de la cité-mère. Il faudrait, peut-être, attendre la deuxième, voire la troisième génération d'habitants, pour que l'on puisse aboutir, enfin, à un enracinement effectif des occupants de la nouvelle ville. Abordé à sa sortie d'un bureau de tabac, Lyès B., employé dans l'administration depuis onze ans, fait partie, lui aussi, des pionniers de cette nouvelle ville où il réside depuis quatre ans. Sa famille, au même titre que d'autres, dont les habitations étaient menacées d'effondrement à cause des glissements de terrain signalés au niveau des quartiers Kitouni et Kaïdi, a été relogée dans cette mégacité. Déraciné, dépourvu de repères dans cette gigantesque cité en chantier ininterrompu, Lyès passe pratiquement toutes ses journées à Constantine, au chef-lieu de wilaya autrement dit, là où il travaille et où résident encore bon nombre de ses proches et amis, et ne rentre qu'à la tombée de la nuit. « Ici, rien ne nous retient. Les habitants de Ali Mendjeli sont en majorité issus de la commune de Constantine. Ils y travaillent et ne rentrent chez eux que le soir. Pour dormir. Nos amis et proches sont là-bas de même que nos habitudes. En 2002, j'habitais encore à Constantine et j'ai voté pour des gens que je connaissais. Cette fois-ci, les choses s'annoncent différemment. Si je décidais de voter, je serais censé voter pour élire la nouvelle assemblée communale du Khroub, alors qu'auparavant, je votais pour les élus de l'APC de Constantine », confie-t-il. Dortoir grandeur nature Territorialement et administrativement dépendante de la municipalité du Khroub, Ali Mendjeli abrite – paradoxalement – de nombreuses familles issues de Constantine, transférées dans cette nouvelle ville à la faveur des programmes de relogement des habitants des bidonvilles et ceux touchés par les glissements de terrain. Toute une population restée attachée à son quartier d'origine considérant Ali Mendjeli comme une immense cité-dortoir. Uniquement. Baptisée nouvelle ville Ali Mendjeli par décret présidentiel n° 2000/17 du 5 août 2000, cette dernière a été créée dans le cadre du PUD du groupement de Constantine, lequel a été approuvé par l'arrêté interministériel n°16 du 28 janvier 1988. S'étendant sur une superficie totale de 1500 ha, Ali Mendjeli devrait, à terme, accueillir 50 000 logements (sociaux locatifs, sociaux participatifs, AADL, promotionnels) pour une population prévisionnelle attendue de 300 000 âmes. Le tout réparti sur cinq grands quartiers. Au demeurant, le projet est grandiose. Pourtant, à quelques jours seulement de l'échéance électorale du 29 novembre, l'on a remarqué qu'en dépit de l'immensité des lieux, nous n'avons pas observé une ambiance particulière, notamment celle précédant des élections. « Nous sommes blasés. Personnellement, je ne compte pas voter. Les programmes des uns et des autres ne sont qu'illusion visant à vendre des mensonges au peuple. Mais où sont donc les partis politiques ? Ils sont complètement absents de la scène politique. Comment peuvent-ils convaincre les électeurs d'aller aux urnes et d'élire leurs candidats en menant une campagne timide et insignifiante ? », s'interroge une enseignante universitaire, résidant dans un logement AADL implanté à la nouvelle ville. Conscientes, pour leur part, du désintéressement des électeurs, davantage préoccupés par la dégringolade du pouvoir d'achat que par un énième round électoral, les formations en lice dans la ville du Vieux rocher semblent toutes s'être donné le mot en misant à l'unisson sur ce qu'elles appellent « travail de proximité ». Un concept déjà exploité durant la campagne pour les législatives et dont les dividendes n'ont pas été à la hauteur de leurs espérances. Mais pour amasser le maximum de voix en faveur de leurs candidats, les partis engagés dans cette course électorale vont donc exhumer, une nouvelle fois, cette carte de la proximité, particulièrement au niveau de la nouvelle ville Ali Mendjeli. Imbroglio administratif Selon Bencheikh El Hocine, secrétaire de wilaya du RND et sénateur du tiers présidentiel, cette cité a « une spécificité certaine, nécessitant une présence plus importante du RND, car le travail de proximité peut être difficile par rapport à d'autres communes. Nous y avons installé une permanence et les candidats portés sur la liste de l'APW vont bientôt se déplacer sur les lieux et discuter avec les citoyens ». Pour le FLN, il s'agit de « redoubler d'efforts à Ali Mendjeli. Nous avons prévu des rencontres avec la population dans la rue comme au niveau de nos deux perman,ences et du siège de la kasma que nous avons ouvert. Etant donné la particularité de cette nouvelle ville, nous allons mener un double travail de proximité qui sera effectué par les candidats aux APC du Khroub et de Constantine. Nous savons pertinemment que beaucoup de ses habitants sont originaires de cette dernière et continuent d'y voter », nous a indiqué M. Habachi, mouhafedh de la ville du Vieux rocher. Même stratégie, même réflexion du côté du MSP. « Les gens de Ali Mendjeli iront certainement voter à Constantine, car beaucoup d'entre eux n'ont pas fait de changement d'adresse. Au MSP, nous avons opté pour le travail de proximité qui sera mené par des militants du parti », soutient, pour sa part, M. Guergouri, secrétaire de wilaya du MSP. L'électorat de Ali Mendjeli sera, au demeurant, sérieusement courtisé au cours de cette campagne électorale dominée par le détachement de la population de la vie politique et du peu d'inventivité des formations en lice pour susciter l'intérêt des électeurs de cette nouvelle ville. A cet effet, les services concernés y ont recensé plus de 1000 électeurs répartis sur 4 bureaux de vote, nous affirme-t-on au niveau de l'antenne communale, sur un total de 71 212 électeurs enregistrés sur tout le territoire de la commune du Khroub. Officiellement, les habitants de cette mégacité en âge de voter devraient être dénombrés parmi l'électorat du Khroub, mais un certain nombre d'entre eux n'ont pas régularisé leur situation administrative et continuent, partant de-là, de voter à… Constantine. Et parmi les 306 311 électeurs recensés sur les listes électorales réactualisées, « revues et corrigées » du chef-lieu de la wilaya, bon nombre réside à… Ali Mendjeli. Un véritable imbroglio administratif en somme. Il est 12h30. De timides rayons de soleil percent craintivement les nuages qui obscurcissaient le plateau de Aïn El Bey. Les quelques affiches collées sur les quelques panneaux épars à travers la cité sont dans un piteux état. Les « arracheurs » sont vraisemblablement passés par là. « Personne ne s'intéresse aux élections à vrai dire », pérorent deux passants d'un certain âge, comme pour donner raison aux jeunes qui saccagent régulièrement les panneaux d'affichage. Une sorte de consensus intergénérations exprimant son ras-le-bol des promesses creuses des élus locaux.