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Bravo ! mais après ?
Art contemporain-La naissance d'un lieu
Publié dans El Watan le 29 - 11 - 2007

Sous le nom œdipien de Mama, l'une des plus belles réalisations culturelles depuis l'indépendance. Lundi, rue Larbi Ben M'hidi, en début de soirée, tandis que les piétons et les automobilistes fuyaient le froid et la pluie, les anciennes Galeries Algériennes, dans leur nouvel habit de Musée national d'art moderne et contemporain, ressemblaient à un ilot de lumière dans un cloaque terne et sombre.
Les abords avaient été dégagés dans l'attente des invités à l'inauguration. Sur le trottoir, les passants y allaient de leurs commentaires. Un jeune, content d'étaler sa culture, déclarait à ses amis : « Yah ! Darouna chghoul Beaubourg ! » (Ils nous ont fait une sorte de Beaubourg). Une jeune dame en hidjab, portant un couffin, lançait : « Methef jdid ? Mabrouk aâlina ». Les propos, recueillis à la sauvette, dégageaient une certaine admiration du travail de réhabilitation effectué et une attitude favorable au projet, teinté de fierté. Mais il y avait aussi les « critiques », tel cet homme entre deux âges, tournant autour de l'axe de son parapluie et pestant contre la peinture blanche des boiseries. Pensant à tort que le monument relève de la période ottomane ou même d'avant, il s'exclamait : « Depuis plusieurs siècles, personne n'a touché à ces boiseries. Même les Français n'ont pas osé ! ». Comme d'autres Algérois et visiteurs de la ville, il découvrira peut-être que l'édifice, à l'instar de la Grande Poste ou du siège de la wilaya, s'inscrit dans le style dit néo-mauresque qui, du début du XXe siècle à l'approche du centenaire de la colonisation, avait réutilisé, sur des structures de type européen classique, les éléments décoratifs de l'architecture musulmane (lire article M. Belfodil. El Watan, 26 janvier 07). Au delà de l'activité attendue du Musée, il constitue une intervention d'importance dans un quartier qui, haut lieu de vie sociale et culturelle jusqu'à la fin des années 70, a terriblement périclité, se transformant, le jour, en un déambulatoire agité et, la nuit, en un capharnaüm de désolation, voire de danger. Ceux qui se souviennent de son animation, de la qualité de ses commerces et restaurants, de sa vie nocturne, de la Cinémathèque Algérienne qui rayonnait dans le monde avec des débats (jusqu'à 3 heures du matin !) avec les plus grands réalisateurs, ceux-là en mesurent toute l'importance. Mais les jeunes générations, pour avoir entendu leurs aînés et surtout pour vivre une certaine nécrose du centre-ville de la capitale, le ressentent également. Toutes les villes du monde à noyaux anciens ont connu ce phénomène. Pour l'enrayer et redynamiser les cœurs de ces cités, des stratégies sont adoptées, veillant à préserver un patrimoine architectural et une identité urbaine. Le Mama sera-t-il le début d'une telle entreprise ou une simple parenthèse dans la déchéance de l'Alger historique, à la dérive de la Casbah ? Il y a un an, dans ces colonnes (23 novembre 06), Nadera Laggoune, historienne de l'art écrivait : « Ceci nous permet de penser qu'il [Le Mama] va déjouer les habitudes de fréquentation du quartier où il s'installe, et en tant qu'élément de transformation citadine, contribuer à un nouveau rapport symbolique entre espace public et citoyen. » Au ministère de la Culture, on espère déjà créer un pôle culturel avec le musée, la Cinémathèque juste en face, qui doit être relookée, le Petit Théâtre de la rue Harrichet, derrière le musée, fermé depuis au moins vingt ans, et qu'il est question de relancer et, bien sûr, le TNA. Il est à espérer que les autres ministères et surtout la wilaya participent à cette démarche et que des mesures soient prises : éclairage public, aménagements, mobilier urbain, obligation pourquoi pas d'ouverture des magasins jusqu'à une certaine heure. Pour l'instant, le musée engrange deux records : première structure commerciale importante dévolue à la culture et première opération notable de réhabilitation d'un monument ancien. Cette expérience pourra servir à des opérations similaires, moins coûteuses que de nouvelles constructions et offrant l'avantage d'un respect de l'identité de la ville qui, au-delà de sa dimension historique et culturelle, peut générer du profit. Toutes les villes du monde qui possèdent un cachet particulier ne se gênent pas pour en faire un facteur d''attraction et un tremplin économique. Pourquoi Alger, aux atouts exceptionnels, devrait-elle se priver d'un tel avantage ? Admirable, le résultat est là. Nous le devons à une équipe essentiellement algérienne : l'architecte Halim Faïdi, le designer Chafik Gasmi, l'artiste Rachid Koraïchi, l'ingénieur Lakhdar Ramdani, le graphiste Noureddine Boutella et l'agence Idylle Conseil pour l'identité visuelle, avec les soutiens de GL.Events pour la scénographie et du spécialiste lumières Georges Berne. On a beaucoup glosé sur le fait qu'un édifice de l'école néo-mauresque, imbibé des relents du XIXe siècle et pétri d'exotisme, serve à un lieu d'art contemporain. Généralement, les bâtisses qui accueillent ce type d'art se situent à l'avant-garde : le MoMa de New York, le Mumok de Vienne, le Guggenheim de Bilbao, etc. Ce rapport intime entre contenu et contenant paraît complètement inversé dans le cas du MaMa d'Alger. « Paraît » car, au fond, la bâtisse correspond parfaitement à l'art moderne et contemporain algérien (comme maghrébin et arabe) dont la naissance et l'évolution diffèrent de celui d'Europe. En Europe, les artistes modernes ont dû opérer une rupture douloureuse avec le classicisme. En Algérie, nos artistes ont fait l'économie de cette longue période, passant en moins de 50 ans de l'apprentissage de la peinture de chevalet aux tendances les plus modernes. Comme ils devaient aussi se démarquer de l'orientalisme et que leur affirmation artistique coïncidait avec leur adhésion au nationalisme, ils ont intégré, chacun selon son style, des éléments identitaires dans leurs créations. Ils ont puisé dans le patrimoine ancien : calligraphie arabe et tifinagh, signes traditionnels, motifs de tapisserie, poteries, tatouages, etc. L'architecture néo-mauresque a elle aussi utilisé les éléments décoratifs de ce même patrimoine, mais avec des usages et ambitions diamétralement opposées. Elle s'inspirait d'un des courants de l'idéologie coloniale, fondé sur l'idée de Royaume arabe de Napoléon III, qui prétendait gagner les « indigènes » au processus de colonisation. A l'instar du discours qu'elle desservait, cette architecture se limitait à l'anecdote (décors et revêtements surtout, dômes et arcades…). Elle rejetait la véritable identité de l'architecture traditionnelle, à savoir ses structures et fonctions. Les constructions néo-mauresques sont de belles européennes vêtues de costumes arabo-berbères, corps et esprits restés occidentaux.
Savoir s'effacer
Mais ce n'est pas cela qui doit empêcher aujourd'hui de les revendiquer pleinement dans notre patrimoine urbain, pour leur beauté, certes inégale, mais surtout pour leur fonction de témoignage. La bêtise aujourd'hui, c'est de voir se construire, sans le talent des architectes néo-mauresques qui avaient eu recours aux meilleurs artisans algériens, dont le célèbre Hamimoumna, des maisons et institutions qui se prétendent authentiquement algériennes avec une arcade et trois carreaux de faïence mal imités ! La preuve en est : ces récriminations contre la nouvelle blancheur des boiseries du Mama, ignorantes du fait que la tradition de peinture sur bois de nos aïeux était la règle quand la teinture et le vernis étaient l'exception. De plus, avec ce blanc immaculé, la qualité du travail des artisans algériens apparaît enfin pleinement. Cela sans parler de la nécessité absolue pour un musée de mettre en valeur les œuvres et de savoir s'effacer, sauf dans ses façades. Et c'est bien ce qui a été réalisé. On peut dire donc « bravo ! » et aussitôt, se demander légitimement : « et après ? ». Le programme de réalisation du musée vient d'achever sa première phase et s'ouvre sur l'exposition de Malek Salah, « Medjnoun Leïla ». En mai 2008, après une série d'expositions, dont « L'Age d'or des sciences arabes » qui n'a rien à voir avec l'art contemporain mais doit permettre de familiariser le grand public au lieu, puis « L'art au féminin », « Regards des photographes arabes contemporains », etc. il fermera à nouveau ses portes pour l'achèvement des autres niveaux et des structures d'accompagnement. C'est qu'il faut traiter 13 000 m2 de surface totale, dont 8 000 m2 d'exposition et dans les mêmes normes de qualité. Mais le véritable « après » est celui qui concerne la vie du musée, appelé à un rôle important dans la vie culturelle nationale en valorisant les pionniers, en promouvant les artistes actuels, en effectuant des recherches, en participant à l'éducation artistique des citoyens et en suscitant des échanges internationaux. Sa contribution sera décisive dans la structuration du marché de l'art qui, aujourd'hui, obéit à des critères approximatifs sinon fantaisistes. Il devra pour cela disposer d'un budget conséquent d'acquisition d'œuvres pour soutenir les créateurs ainsi que de bons moyens de communication. Mais qui le dirigera ? C'est la question qui revient souvent dans le microcosme littéraire et artistique. Certes importante, elle est d'un archaïsme navrant. Le meilleur des conservateurs ne pourrait rien sans une équipe de spécialistes de haut niveau et tout le monde sait que nous n'en disposons pas, les anciens musées étant eux-mêmes dépourvus sur ce plan. Il est prévu en 2008 un programme de formation en Algérie, avec le soutien d'institutions espagnoles et françaises. Conservation, restauration des œuvres, scénographie, accueil des publics, sécurité… tous les profils nécessaires à une machine telle que le MaMa. La gestion de l'art est aussi une science. En attendant, ce lundi, tout le monde s'en est retourné bredouille, les ministres arabes de la Culture n'ayant pu rejoindre Alger à partir du Palais des nations, pour cause, croit-on savoir, d'inondations des routes ! L'inauguration aura donc lieu samedi prochain, en même temps que le vernissage de la première exposition. Prévision météo pour ce 1er décembre : brouillards dans la matinée, soleil l'après-midi. Bon augure pour le MaMa qui devrait enfin sortir de la brume des rumeurs pour rayonner de lumière.


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