Pour avoir voulu jeter un coup d'œil sur le firmament, dit la Genèse, les habitants de « Babel » ont eu à subir un châtiment des plus étranges : se mouvoir dans une bousculade linguistique sans précédent depuis que l'homme est homme. Haman, ministre turbulent du pharaon Ramsès II, faisant fi de toute logique, se mit quant à lui, à bâtir une tour pour permettre à son maître « d'apercevoir le Dieu de Moïse ». Toute autre est la tradition islamique qui fait de l'homme une sorte de superman pour peu que celui-ci se dote d'une bonne volonté. De fait, il lui est possible d'obtenir ce qu'il désire même s'il devait aller « le chercher au delà du trône du Créateur ». A bien méditer l'histoire des différentes civilisations, la vérité de « l'être en tant qu'être » selon la définition d'Aristote, retient bien notre attention : il y a dans le cœur de chaque homme une tour de Babel, pour ne pas dire quelque chose de confus et de clair à la fois. Si la multiplicité des langues n'a pas sauvé l'homme totalement, elle ne l'a pas, en contrepartie, détruit définitivement. N'y a-t-il pas eu un semblant d'entente entre lui et ses pairs par le truchement de cette même malédiction linguistique ? L'Argentin Jorge Luis Brogés (1899-1986) refusait d'être prisonnier de la mythologie classique s'estimant, dans sa fameuse nouvelle La bibliothèque de Babel, digne de créer la sienne avec une touche de haute modernité et d'humanisme, bien sûr. Lui, si féru de lettres classiques, s'est plu à inventer des histoires en allant se ressourcer dans son propre fond, donc, dans les langues qu'il possédait, même si celles-ci ne remontaient pas au temps babylonien. La multiplicité linguistique, à ses yeux, ne peut en aucun cas être une punition divine ou encore une malédiction, mais bien une possibilité offerte à l'homme pour aller fouiner dans le monde qui n'est pour lui qu'une « grande bibliothèque sous forme de galeries hexagonales ». Dans l'art pictural, le peintre flamand Bruegel l'Ancien (1525-1569) se saisit du même thème sans pour autant accorder de l'importance à la dimension linguistique, celle qui serait la cause de tous les malheurs sur cette terre. En effet, on entend encore certains analystes déclarer que si les messages politiques venaient à passer, avec bonheur, d'une langue à une autre, les guerres n'auraient sûrement pas lieu. Bruegel s'intéresse au premier abord à l'homme, comme pour démystifier certaines prétendues vérités. Dans son célèbre tableau qui tranche par son réalisme, on voit l'homme plongé, corps et âme, dans la construction de la tour de Babel n'ayant, apparemment, d'autre but que celui de se mettre au diapason de ce qui l'entoure. En contemplant bien ce tableau, nous sortons avec l'impression suivante : c'est la nature compliquée de l'homme qui l'incite toujours à construire, quelque part en lui-même, sa propre tour de Babel, donc, à se faire une raison de vivre. Ladite tour cesse d'être mythique, faussement religieuse ou profane, chaque fois que l'homme décide de disposer de son propre statut dans cette existence sans autre référence que sa seule logique. Même en inventant des histoires, l'homme ne fait que déconstruire les tours chimériques.