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Da Arezki et l'identité nationale
Publié dans El Watan le 03 - 12 - 2007

L'immigré non choisi est installé en France depuis plus de 30 ans. Il attend sa retraite pour retourner dans son village. Da Arezki se moque de la « francité » et des discours xénophobes. Il refuse de servir de bouc émissaire.
Da Arezki en rigole encore. Il ne savait pas qu'il mettait en danger l'identité française. Que sa présence allait plonger la France dans la schizophrénie. Quand le candidat Nicolas Sarkozy a été surpris en flagrant délit de drague de l'électorat du Front national, Da Arezki s'est dit que l'expérience ivoirienne, avec son funeste concept d'ivoirité, allait décourager l'actuel locataire de l'Elysée de continuer sur cette pente savonneuse. Puis, l'Identité nationale a acquis son ministère. Dans un français hésitant, le préretraité ne reconnaît plus sa France. « Cela a changé. Le regard de l'autre sur nous a terriblement changé. Les discours de l'extrême droite sont banalisés par la droite. On nous fait passer soit pour des terroristes potentiels, des profiteurs des Assedic et de la Sécu ou alors pour des voleurs. En gros, des chômeurs de luxe, des fainéants. L'image du musulman, croyant ou pas, c'est génétique, est à peine supérieure à celle d'un ouistiti qui a oublié comment faire amuser le public. » Comme pour se justifier de ne pas être un « chômeur passif », il raconte ses vaines démarches pour trouver un emploi. Arrivé en France à la fin des années 1970, plongeur puis cuisinier, il a longtemps fréquenté les quartiers chic avant que son patron ne revende son restaurant à un repreneur d'origine chinoise. « Je me suis retrouvé au chômage du jour au lendemain. Je n'en veux pas à mon ancien patron, les affaires ne marchaient pas trop fort et il avait reçu une offre qui ne se refusait pas. Et comme je n'ai pas la prétention d'être un expert en canard laqué ou en rouleaux impériaux, on m'a montré la porte. » Depuis, petits boulots et des piges au noir se succèdent. Da Arezki est passé maître dans le calcul mental. Ses fins de mois l'obligent à une gymnastique cérébrale qui a fait de lui un « spécialiste en virgules ». Une fois sa chambre payée, son budget (dérisoire) consommation mis de côté, les 125 euros envoyés au bled, les 50 euros mensuels du voyage annuel en Kabylie épargnés, il ne reste pas grand-chose sur son livret A de la poste. « Il y a des dépenses incompressibles. J'ai fait beaucoup d'erreurs dans ma vie. Je n'aurais jamais dû me marier en Algérie, ou alors il fallait faire le regroupement familial. C'est une situation qui me lamine quotidiennement. Mon aîné a aujourd'hui 25 ans. Je lui suis parfaitement étranger. Je sens quelquefois qu'il m'en veut de ne pas être riche. Il ne dit rien mais cela se voit. Il croit encore qu'en France, tous les immigrés sont dans l'opulence et qu'avec le change parallèle ils le sont cent fois, non 97,5%, plus. Je n'arrive pas à joindre les deux bouts de la Méditerranée. » Da Arezki cache mal son dépit. Il en veut au ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Brice Hortefeux, pour la multiplication des contrôles de police. « Vous avez vu sa gueule, il a la tête de l'emploi ! Un Aryen, sans cœur et au sang froid. » Délit de faciès, pas gêné d'en être l'auteur lui qui en a été souvent victime ? « Pour une fois que je peux l'être, je ne vais pas me gêner ! » Ce que Da Arezki a du mal à avouer, c'est que la police ne le contrôle pas à cause de son faciès mais parce qu'il vend des articles de brocante à la sauvette. Ce dimanche, aux Puces de Montreuil, avec son ami Tahar, il étale sa bâche entre la sortie du Métro et l'entrée du périphérique. Cassette VHS sentimentale avec Meg Rayan, jeu de peignes, des piles, un livre Cuisines du monde sans sa couverture, des jeux pour Playstation 1, 3 vieilles revues Union et des bottes neuves taille 44. En étant généreux, l'ensemble atteint laborieusement 30 euros. Cela vaut-il la peine de prendre un PV, d'être contrôlé ? « D'abord, cela dépasse largement 30 euros. Les bottes seules font 45 euros ! Ensuite, aujourd'hui 30, demain 50, à la fin du mois, cela fait tout de même une petite somme », se justifie-t-il sans grande conviction. Il fait froid ce dimanche à Paris, la pluie fait une apparition timide. Da Arezki ne bouge pas. Aucun passant ne s'arrête à son niveau. L'enfant de Tazmalt, qui a vieilli trop vite, ne se décourage pas. Il trouve réconfort et courage auprès de son ami Tahar. « Je n'ai pas le choix, je dois tenir. Je promets à monsieur Hortefeux de quitter son pays, qui est tout de même un peu le mien, dès que je serai en âge de toucher la retraite. La roue tourne. Je ne désespère pas de retrouver un emploi et d'aider plus avantageusement mes enfants restés au bled. La vie ne m'a pas fait de cadeau. Je cache ma situation à ma famille, c'est ce qui est le plus dur. Je ne veux pas qu'ils me voient comme un mesquin. Croyez-vous que cela me plaise d'être réduit à vendre ces déchets ? Si au moins on n'essayait pas de salir notre dignité », s'emporte l'immigré non choisi.

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