Le roi des Belges est devant un choix délicat, ou plutôt, il n'en a pas depuis que son royaume a plongé dans une crise jamais connue. Les vieux antagonismes se sont réveillés, et dans leur sillage, la menace d'éclatement en régions éthniquement, sinon culturellement homogènes. Les Belges l'ont bien compris eux qui ont battu le pavé ces derniers jours, pour appeler à la préservation de l'unité nationale et le dépassement des clivages linguistiques. Et en guise de parade à cette crise, et sans que cela soit la panacée, le Premier ministre Guy Verhofstadt, vieux routier de la politique belge qui expédie les affaires courantes depuis sa défaite aux législatives le 10 juin, a été chargé lundi par le roi Albert II de trouver une issue à « l'impasse » dans laquelle la Belgique est plongée. Après six mois de silence quasi absolu, le chef du gouvernement, leader des libéraux flamands, a accepté une mission qui le ramène subitement au premier plan, du moins temporairement. C'est parce que la Belgique traverse « une des crises politiques les plus graves de ces dernières décennies », que son image de marque « se détériore » et que les problèmes des Belges restent « sans solutions », qu'il a franchi le pas après avoir longtemps hésité, a expliqué, solennel, Guy Verhofstadt. Ce n'est qu'au cours de sa deuxième visite de la journée au Palais royal, lundi en fin d'après-midi, qu'il a dit « oui » à Albert II, qui « lui a demandé de l'informer à très court terme sur la manière de sortir de l'impasse actuelle et de prendre tous les contacts nécessaires à cet effet ». M. Verhofstadt a cependant semblé exclure de revenir durablement sur le devant de la scène politique. « J'avais tiré les conclusions de la défaite de mon parti, j'ai adopté ces derniers mois une attitude très réservée. Cette mission n'y changera rien : c'est pourquoi, à ma demande expresse, elle ne revêt qu'un caractère très temporaire et limité », a-t-il déclaré aux journalistes. M. Verhofstadt a annoncé qu'il aurait dans les prochains jours des contacts, en toute discrétion, avec les responsables de tous les partis démocratiques, dont son déjà ex-successeur Yves Leterme, le leader des chrétiens-démocrates flamands. Sorti en tête du scrutin le 10 juin, M. Leterme avait dû renoncer samedi à former un gouvernement chrétien-démocrate/libéral, faute d'avoir pu convaincre les francophones de lancer une grande réforme du système fédéral belge. Le passage de témoin à Guy Verhofstadt ne signifie cependant pas automatiquement un changement des priorités. La première question sera de savoir comment lancer les négociations menant à l'« importante réforme » de l'Etat réclamée par la Flandre, à la recherche depuis des années d'une plus grande autonomie, notamment en matière fiscale. Dans le scénario qui se met en place, la tâche de préparer cette réforme de l'Etat serait confiée à une « convention » réunissant des parlementaires, tant francophones que néerlandophones, dont les travaux pourraient se prolonger pendant un an ou deux. Avec comme principaux points d'achoppement prévisibles : la régionalisation de compétences aujourd'hui fédérales comme la sécurité sociale et la fiscalité des entreprise et le sort du seul arrondissement électoral et judiciaire bilingue du pays, Bruxelles-Hal-Vilvorde, qui regroupe Bruxelles et sa périphérie. De vieilles querelles Le parti d'extrême droite flamand Vlaams Belang, qui depuis longtemps réclame une « République flamande » indépendante, a été le premier à vouloir tirer les marrons du feu en appelant à des « discussions pour préparer la scission du pays ». L'échec d'Yves Leterme « prouve qu'il n'est plus possible de former un gouvernement représentant les intérêts tant du nord (la Flandre, ndlr) que du sud (la Wallonie) », a estimé le sénateur Vlaams Belang Joris Van Hauthem. C'est donc au roi Albert II qu'échoue la tâche de trouver une solution s'il ne veut pas voir son pays, indépendant depuis 1830, figurer dans les livres d'histoire au chapitre des royaumes disparus. Mais le souverain de 73 ans aura beau retourner l'équation dans tous les sens, aucune majorité de gouvernement ne paraît plus facile à bâtir que l'« Orange bleue » —la réunion des démocrates-chrétiens et des libéraux, tant francophones que flamands —qu'Yves Leterme a été incapable de concrétiser. Les autres coalitions envisagées seraient minoritaires ou comprendraient des partis avec lesquels les formations traditionnelles refusent de gouverner, comme le Vlaams Belang, ou elles devraient faire la synthèse de programmes antagonistes. Un retour aux urnes paraît également délicat, car les plus radicaux des deux camps risqueraient d'en sortir encore renforcés. La marge de manœuvre s'annonce d'ores et déjà étroite ; c'est pourquoi, la seule question qui revient le plus est de savoir ce que la Belgique va devenir.