Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) et de la commission ad hoc chargée de la question des disparus, Farouk Ksentini, a qualifié de « moyenne » la situation des droits de l'homme en Algérie. « La vérité est que les droits de l'homme ne progressent pas, nous sommes dans une situation moyenne », a-t-il indiqué dans un entretien accordé jeudi au quotidien public Horizons . M. Ksentini a imputé cette stagnation aux « obstacles de l'Administration qui ne respecte pas suffisamment le citoyen ». M. Ksentini a évoqué aussi « l'incivisme du citoyen qui ne respecte pas suffisamment l'Administration ». « Ils (l'Administration et le citoyen, ndlr) se tiennent dans un mépris mutuel. L'Administration commet des irrégularités et le citoyen réplique par l'incivisme. Cela n'est pas fait pour faire prospérer les droits de l'homme évidemment », a-t-il mentionné. Le président de la CNCPPDH a expliqué, en outre, les insuffisances constatées en matière de droits de l'homme par la mauvaise qualité de la justice et de l'école. En ce sens, il fera remarquer que « ceux qui sont chargés d'appliquer la justice dans ce pays ce sont les magistrats qui, pour des raisons multiples, ne renvoient pas une justice appréciable ». Et pour lui, la responsabilité de cette situation incombe à l'école qui « ne fait pas son travail ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, souligne-t-il, que nous avons des magistrats insuffisamment formés sur le plan professionnel. Déplorant l'inexistence de magistrats spécialisés, Farouk Ksentini a ainsi regretté « le manque de contrôle rigoureux dans le secteur de la justice ». « Les magistrats ne sont pas sanctionnés administrativement sur le plan professionnel pour les inciter à améliorer leur niveau, et cela se traduit par des jugements de mauvaise qualité. Nous avons une justice de mauvaise qualité, et cela n'est pas fait pour servir les droits de l'homme », a-t-il soutenu. Les faibles performances de la justice ont également leur lot d'effets négatifs sur la sphère économique. Pour M. Ksentini, elles sont notamment à l'origine du manque d'intérêt des investisseurs étrangers pour le marché algérien. L'amnistie, une idée courageuse Invité à s'exprimer sur le projet d'amnistie générale du président Bouteflika, Farouk Ksentini a indiqué que l'idée est « courageuse » et qu'elle mérite aussi d'être soutenue. Il a estimé que « c'est la seule manière pour restaurer la paix civile dans ce pays ». Evoquant la question des disparus, M. Ksentini portera à la connaissance de l'opinion que la commission ad hoc chargée de plancher sur le dossier transmettra son rapport définitif au président de la République à la fin du mois de mars prochain. Ce rapport, a-t-il mentionné, se base sur un travail d'investigations, de réflexion et de proximité avec les familles des disparus avec lesquelles il a été mené un dialogue direct. Concernant les accusations des familles qui placent au centre la responsabilité des institutions de l'Etat (ANP, gendarmerie, police) dans les disparitions, le président de la CNCPPDH a estimé que leurs « affirmations ne reposent sur aucun fait ». Il écartera d'ailleurs avec force l'hypothèse que les disparitions aient été le résultat d'une démarche planifiée. Les institutions étatiques, a-t-il ainsi soutenu, « ont combattu loyalement le terrorisme, mais pas par un contre-terrorisme, par des enlèvements ou des disparitions ». Toutefois, fait-il remarquer, « la guerre contre le terrorisme a été tellement violente (...) qu'elle a eu pour effet d'exacerber certains agents de l'Etat qui se sont comportés de manière illégale, qui ont procédé à des déplacements qui sont à l'origine de certaines disparitions ». Cette situation, a affirmé M. Ksentini, ne doit cependant pas conduire à confondre l'Etat, les institutions étatiques avec leurs agents. Il insistera sur l'idée surtout que « l'Etat et les institutions étatiques sont responsables civilement des agissements de leurs agents, mais (qu'elles) ne sont pas responsables pénalement, parce que l'Etat algérien et les institutions étatiques ne peuvent pas, par eux-mêmes, délibérément procéder à des enlèvements et à des disparitions ». En guise d'arguments, M. Ksentini rappellera, à titre d'exemple, la non-application des 400 à 500 condamnations à mort contre les terroristes prononcées par les tribunaux de 1993 à 1998. Des décisions, a-t-il dit, devenues définitives mais « l'Etat algérien a refusé délibérément de procéder aux exécutions capitales (alors) qu'il aurait pu (le) faire légalement dans le cadre de la loi ». Et de s'interroger : « Alors un Etat qui refuse délibérément de procéder à des exécutions capitales, est-il concevable de lui imputer d'avoir délibérément ordonné qu'il soit procédé à des exécutions extrajudiciaires au moment même où il a refusé de procéder à des exécutions judiciaires autorisées par la loi ? » D'autre part, a-t-il « lorsqu'on parle des chiffres des disparus, chiffres estimés à 5 200, ils sont tout à fait minimes par rapport au nombre d'Algériens qui avaient été à l'époque suspectés de collaborer avec le terrorisme, qui ont été déférés devant les juridictions, qui ont été régulièrement condamnés dans le cadre de la loi républicaine ». Pour Farouk Ksentini, ce constat « laisse déduire immanquablement avec toute certitude que l'Etat n'a pas délibérément organisé les disparitions comme certains esprits chagrins essayent de lui imputer ».