L'Afrique et l'Europe se retrouvent aujourd'hui dans la capitale portugaise. Enfin, devrait-on dire, car il s'est écoulé beaucoup de temps depuis le sommet du Caire en avril 2000 dont on disait à l'époque qu'il était le premier du genre. Les participants avaient alors même décidé de l'institutionnaliser, sauf que la date et le lieu de la seconde rencontre n'avaient pas été fixés. Preuve à l'époque que les choses n'allaient pas comme il fallait, et qu'en tout état de cause, le résultat ne correspondait en aucun cas à l'enthousiasme qui avait alors marqué cette rencontre qui devait être différente, ou bien alors complémentaire de la relation que l'Europe entretient avec différentes régions de la planète. Tout avait été dit dans la capitale égyptienne, mais très peu, sinon rien, n'a été fait pour aller de l'avant, et surtout revoir les mentalités. L'Afrique a apporté une nouvelle vision qu'elle consignera dans une stratégie en cinq lettres, le Nepad, pour signifier nouveau partenariat pour le développement en Afrique. Elle a été portée par ses initiateurs dans tous les forums, et les conclusions que ces derniers en tirent sont encourageantes. Tout y est prévu, y compris les maux qui affectent l'Europe actuellement comme l'immigration clandestine, mais qui, en fin de compte, découlent de la situation de non-développement, de précarité, et, plus encore, d'extrême pauvreté. C'est cela l'Afrique aujourd'hui encore avec ses conflits, ses millions de personnes déplacées, une image mal renvoyée par un épisode aussi malheureux que celui de l'Arche de Zoé, cette ONG française, aujourd'hui accusée d'enlèvements d'enfants tchadiens. Que sera donc Lisbonne ? Un demi-siècle après la décolonisation, les Européens affichent leur volonté de bâtir un partenariat d'égal à égal avec les Africains. On dira alors que la présence chinoise et la détermination de Pékin à proposer mieux en terme de partenariat donnent une chance à ce sommet. A la veille du 2e sommet UE-Afrique aujourd'hui et demain, l'Europe, habituée à une « vision caritative moralisante » de l'Afrique, doit comprendre que le continent « n'est pas » et ne sera jamais plus sa « chasse-gardée », souligne le commissaire européen au Développement Louis Michel. L'Afrique, avec son milliard d'habitants et ses immenses ressources naturelles, est désormais « courtisée par toutes les puissances de la planète, Etats-Unis et Chine en tête », insiste-t-il. Il faut sortir de cette approche « misérabiliste de l'Afrique, ce continent est en mouvement et a beaucoup changé ». Ces 2 ou 3 dernières années, pas moins de 12 pays ont connu des changements démocratiques et le mécanisme d'évaluation des pairs institué par l'UA est à cet égard remarquable, de même que la ressemblance des structures de l'UA et de l'UE, fournit des instruments pour mettre en œuvre cette stratégie commune et permaniser le dialogue politique. Louis Michel a également déclaré qu' « il faut oublier, une fois pour toutes, l'idée que l'Afrique est la chasse gardée de l'Europe, et c'est très bien comme ça », en se félicitant que l'Afrique ouvre à la concurrence mondiale l'offre de partenariat. Au moment où les pays européens font la course aux marchés chinois et autres pays émergents, « on ne peut pas reprocher à l'Afrique » d'approfondir sa coopération avec la Chine et d'autres partenaires importants. C'est même souhaitable et profitable pour l'Afrique, estime le commissaire qui déplore, toutefois, que le retard mis à organiser ce second sommet a profité aux concurrents européens en Afrique. L'Union européenne, premier partenaire commercial de l'Afrique, craint surtout d'être rattrapée par la Chine. Le troisième partenaire économique des Africains a, ces dernières années, multiplié son aide, ses investissements et son influence sur le continent, consacrés par le 1er sommet Chine-Afrique de novembre 2006. Il a fallu toute cette concurrence pour que les données changent. L'UE avait donc « désespérément besoin de ce sommet », explique une source européenne. Tout le reste devient surmontable et même incroyablement déplacé. Comme la polémique autour de la participation du président zimbabwéen Robert Mugabe, qui avait provoqué l'annulation du précédent sommet en 2003, et qui n'empêchera donc pas cette fois les Européens de recevoir les 48 chefs d'Etat et de gouvernement africains dont la venue est déjà confirmée. La présidence portugaise de l'UE n'a pas cédé aux menaces de boycott du Premier ministre britannique Gordon Brown, qui refuse de voir Mugabe, en principe interdit de séjour dans l'UE en raison des violations des droits de l'homme de son régime. « La bonne politique est de l'affronter les yeux dans les yeux », fait valoir le secrétaire d'Etat portugais aux Affaires étrangères, Manuel Lobo Antunes. Un des objectifs de ce nouveau « partenariat stratégique » entre les deux continents est d'ailleurs que l'« Afrique et l'Europe travaillent ensemble pour protéger et promouvoir les droits de tous en Afrique et en Europe ». Un plan d'action concret pour la période 2008-2010 sera ainsi soumis à l'approbation du sommet, pour faire progresser huit partenariats euro-africains : paix et sécurité, gouvernance démocratique et droits de l'homme, commerce et intégration régionale (dont la mise en œuvre du partenariat euro-africain en matière d'infrastructures, lancé en 2006), objectifs du millénaire pour le développement, énergie, changements climatiques, migrations, mobilité et emploi et le volet science, société de l'information et espace. Tout compte fait, la Chine, par son forcing, a brisé le cercle forcément étroit de la relation EU-Afrique, en lui ajoutant un élément déterminant, la concurrence.