La visite officielle du président français en Algérie est loin d'être passée sans incident. La phrase lancée par son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, sur le compte du ministre des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbès, a sonné comme une provocation qui n'a pas tardé à pousser la famille révolutionnaire à la réaction. Dire répugner prononcer le nom d'un ministre algérien sur le sol algérien et qui plus est le représentant au niveau du gouvernement des anciens combattants de la guerre de libération est loin d'avoir le sort d'une feuille de platane un jour d'automne. C'est au contraire jeter un pavé dans la mare d'une histoire peu commune entre les deux pays, marquée par des blessures béantes et de vives rancœurs. Les anciens moudjahidine ont tenu à se solidariser avec Cherif Abbas dont l'absence du protocole chargé d'accueillir le président français révèle l'existence d'un malaise en haut lieu. A-t-il choisi son absence ou alors y a-t-il été contraint ? Il importe peu de le savoir, puisque sa défection est en soi le signe que les deux pays sont loin d'avoir outrepassé le lourd contentieux colonial. Ce dernier, portant en lui les stigmates de l'usurpation de droit, de déni de l'identité algérienne et de crimes contre l'humanité, ne peut trouver sa solution dans la provocation. La tension est telle que Bouteflika a été mis, par les moudjahidine, devant le devoir de répondre à Bernard Kouchner. Le premier magistrat du pays et garant de sa souveraineté acquiescera-t-il à cette demande ? Il s'agit d'une question d'honneur à sauver, estiment les anciens combattants qui ne peuvent digérer, en sus du refus de la France de condamner fermement les crimes coloniaux, le dénigrement affiché face au ministre des Moudjahidine. Le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine, Saïd Abadou, a lancé mercredi dernier dans une sorte de mise en garde rapportée par la presse nationale ceci : « Personne ne pourra nous faire taire, mais si on veut recevoir un écho favorable à nos exigences, on doit avoir un Etat fort. » Un message qui invite les premiers responsables du pays à être plus fermes face à ce type de provocations afin d'arriver à arracher cette reconnaissance d'un passé qui a coûté un lourd tribut à l'Algérie afin d'aboutir à son indépendance. Abadou parle même de « suppôts du colonialisme prenant plus de liberté à agir contre les moudjahidine et manœuvrant pour dénigrer notre histoire et nos sacrifices. Cela n'augure rien de bon », rapporte notre confrère El Khabar. Les membres de l'ONM exigent qu'une mise au point soit faite à Kouchner. « Ce que ce ministre a dit porte en lui une haine et une hostilité face aux moudjahidine. Nous exigeons des responsables algériens, qui se disent attachés à des excuses françaises sur ses crimes coloniaux, de dénoncer de telles déclarations », affirment-ils. Outre les moudjahidine, la famille révolutionnaire s'est aussi exprimée par la voix des enfants de chouhada, dont l'Union nationale des cadres enfants de chouhada et de moudjahidine, qui tout en exigeant des excuses du président français sur le passé colonial de la France, somme M. Kouchner de retirer ses propos qualifiés d'« immoraux » et de présenter ses excuses aux Algériens. « C'est une insulte au peuple algérien et à sa souveraineté », estiment les signataires de la déclaration de cette union. Cherif Abbas sortira-t-il de son mutisme pour laver l'affront de Kouchner ou laissera-t-il le soin au président de le faire ? L'avenir est porteur de réponses, mais une chose est sûre, « l'incident » est loin d'être clos.