« Quand on est heureux on songe à partir en voyage. Quand on est triste, on songe à revenir chez soi. » Il a de qui tenir, puisqu'il est issu d'une famille de sportifs, dont la référence est sans doute Bachir, le grand-père coureur de fond émérite dont la réputation avait dépassé les frontières de la cité du bonheur. Son père Mustapha a émigré en France au début des années 1970. Il travaillait à l'usine et a fait venir son épouse peu après son installation. De leur union, sont nés 8 garçons et 2 filles. A la maison, le sport est plutôt vu d'un bon œil. Et si ce n'est Brahim, c'est son cadet Redouane qui tient le haut de l'affiche avec ses titres de champion de France et d'Europe, sans oublier son passage remarqué lors des derniers Jeux olympiques d'Athènes en 2004 et candidat potentiel pour la médaille d'or à Pékin en août prochain. « Vous voyez bien que chez nous le sport n'est pas un vain mot », explique Hassan, l'oncle de Brahim, personnage connu à Bou Saâda où il réside. L'oncle ne tarit pas d'éloges sur son neveu, motif de fierté de toute la ville. « Brahim passe ses vacances ici dans notre fief à Dechra Gueblia, dont les berges escarpées et ombragées de palmes forment un paysage admirable. Ce site luxuriant est surplombé par le fameux Djebel Kerdada. » Dans ces contrées, notre boxeur se sent bien dans sa peau. « C'est un endroit idéal pour se ressourcer, recharger ses accus. » Pas loin de là, repose le peintre Etienne Dinet. Cet artiste, venu pour la première fois à Bou Saâda en 1884 est séduit par les paysages et les gens du Sud, s'y fixa définitivement en 1905. Au bord de l'oued, se trouve encore la koubba où il aimait peindre. En 2006, Brahim est venu passer la dernière semaine du Ramadhan et célébrer les fêtes de l'Aïd. C'est l'idole des jeunes pour lesquels il est un exemple, reconnaît son oncle qui l'avait accompagné en 2005 au ministère de la Jeunesse et des Sports où notre champion avait été reçu et honoré par le ministre de l'époque, M. Ziari. « Cela l'a profondément marqué. Il était aux anges car heureux d'être reconnu même ici alors qu'il jouit de la nationalité française. On n'oublie pas ses origines, d'où l'on vient, et cette vérité, je crois que Brahim en est bien imprégné. » Un boxeur accompli Lorsque samedi dernier Brahim a étrenné sa ceinture de champion du monde près de Cannes, à plus de 1000 km de là, dans son fief à Bou Saâda, tout le monde jubilait, tout le monde dansait, témoigne son cousin Lyès qui poursuit ses études supérieures en sport à Alger. « Ils ont vu Acariès, son coach, crier dans le coin du ring “sept ans, sept ans'' en direction de son protégé, alors que le combat se terminait. » La fin a été pénible. Le challenge était de taille. Asloum l'a relevé avec panache, livrant la prestation qu'on était en droit d'attendre de lui depuis ses débuts professionnels il y a sept ans. Le lendemain, les journaux y sont allés de leurs plumes élogieuses : « Le protégé d'Acariès s'est enfin libéré, montrant d'emblée qu'il était le patron sur le ring. » « J'ai en moi une véritable détermination. Cette fois, pas de cadeau », a-t-il lâché après cette épique empoignade. Il aura fallu 25 combats professionnels, sept ans de travail acharné et de critiques parfois justifiées pour que Brahim arrive enfin à décrocher la lune. « Je suis fier et je remercie tous ceux qui m'ont soutenu depuis sept ans », a déclaré le nouveau champion du monde des mi-mouche WBA, souriant après avoir battu, à l'unanimité des juges et des 4200 spectateurs de la Palestre, l'Argentin Juan Carlos Revelo, tenant du titre et invaincu en 17 combats. A 28 ans, Asloum est le premier boxeur français à ajouter un titre de champion du monde à un sacre olympique acquis en 2000 à Sydney. « J'avais 21 ans, j'étais un bébé, c'était magique, se souvient-il. Maintenant, pour moi, la boxe c'est un métier. » Puis d'ajouter, la mine défaite, le moral froissé. « Mes deux premiers revers me sont restés en travers de la gorge. Je me suis dit, si je veux être champion du monde, je dois me montrer plus méchant. Je dois arrêter de boxer pour la beauté du geste pour réaliser le coup parfait. Je suis trop perfectionniste. Quand je touche, au lieu d'enfoncer le clou, ma nature m'incite à gagner avec le panache. Dans le regard de mon adversaire, je vois qu'il est cuit. Mais au lieu de descendre ma cible, je retombe dans un train-train, je joue avec le feu. Alors, presque tétanisé à l'idée de l'achever, je réfléchis, je réfléchis encore et je passe à côté. » Il a su après que personne ne lui fera de cadeau. Il a aussi appris ce que c'est que de trimer pour gagner sa vie. Son père avec sa « smala » en est un exemple édifiant. Les souffrances, les sacrifices, ça le connaît. Alors, si on en fait, autant en être récompensé. Brahim a le profil classique de l'enfant des banlieues, sauvé d'un quotidien morose par la boxe. Pourtant, à voir son itinéraire, rien ne le prédestinait à cette pratique rugueuse, violente parfois : implacable. « Moi, je n'étais pas vraiment fait pour être boxeur. Certes, l'art de la boxe est mon truc. Mais descendre une cible, achever un adversaire ou tuer l'autre, ce n'est pas ma nature. Moi j'essaie de désarmer, de faire rendre les armes, pas de tuer. Comme j'aime le beau geste et le bel enchaînement, j'aime aussi y mettre la manière. Aujourd'hui, je dois donc savoir si je veux être un grand boxeur ou un boxeur. Si je veux être Asloum ou simplement Brahim Asloum. Si je veux être un grand champion ou simplement un champion », déclarait-il la veille de son couronnement. On n'oublie pas ses origines C'est qu'il a changé le petit bonhomme. En descendant d'une catégorie et en perdant 10 kg en quelques mois, se soumettant à un régime sévère. « Je suis sec comme un bout de bois, j'affiche le taux de masse graisseuse d'un anorexique. Toute la journée, j'ai mal au ventre tellement j'ai faim. C'est dans cet état que je puise mon agressivité », confie-t-il. Lorsqu'il lui est demandé pourquoi ne pas arrêter ces privations, ces sacrifices inouïs, sa réponse fuse comme s'il vous assénait un uppercut meurtrier. « Je me fais toujours plaisir en boxant. Et puis, honnêtement, parce que je veux marquer l'histoire ; parce je veux voir mon nom au plus haut. La boxe est le seul moyen que j'ai trouvé pour y arriver. Même si j'en chie à l'approche de ces grands combats, je mène une belle vie. Après, tant pis si on m'assassine parce que je ne suis pas champion du monde, tant pis si je me serre la ceinture tous les jours ; je me relève et je repars au combat. C'est tout simplement la vie. Dans le monde, des millions de gens n'ont rien à bouffer. Moi, je le choisis pendant quelques semaines. Donc, je dois pouvoir l'assumer. Après, quand je quitterai la boxe, je ne veux pas redevenir anonyme. Je veux faire de la télé ou du cinéma. Mes gants raccrochés, je ferai tout pour rester un artiste. » Puis Brahim de s'étaler sur son parcours, ses joies, ses peines, sur ce qu'il aurait dû faire. Il est intransigeant, même vis-à-vis de sa propre personne. « Il m'a fallu sept ans pour bien comprendre ce que mon coach voulait m'inculquer. Il m'a toujours dit que j'arriverai à maturité à 28-29 ans et il avait raison. Le timing était bon. Cette victoire, c'est un peu la maturité avec l'expérience de mes deux défaites et peut-être que « les mi-mouche », c'est ma vraie catégorie. A 49 kilos, on n'a rien négligé. On s'était préparé de manière scientifique et le fait de perdre du poids ne m'a jamais affaibli. Ce n'était pas évident contre un Argentin encore invaincu. J'ai réussi à durcir le combat quand il le fallait. On avait beaucoup travaillé, notamment sur mon jeu de jambes et mon bras avant. Cela m'a permis d'éviter le danger et de construire mon combat. Je suis content aussi d'avoir vengé le XV de France qui a perdu deux fois contre les Argentins pendant la coupe du monde de rugby. » Le ballon ovale, ce n'est pas vraiment son dada, car hormis la boxe, Brahim est un fervent passionné de foot et son pote, c'est Zidane qu'il rencontre assez souvent. Zizou ne rate pas les combats de son ami. Les deux hommes se vouent une estime réciproque. Dernièrement et pour perdre les deux derniers kilos superflus, Brahim a fait un crochet par la clinique Merano en Italie où il a bénéficié des conseils avisés de… Zizou, sur les régimes et qui se trouvait là lui aussi pour une cure. Une performance unique Retour à Bou Saâda, en ces temps pluvieux de décembre avec l'inénarrable Hassan. « Lorsque Bouteflika a visité la ville il y a quelques mois, Brahim s'y trouvait et a même eu l'honneur de rencontrer le président de la République. » Généreux, solidaire, Brahim n'hésite pas à mettre la main à la poche pour assister les démunis. Il faisait partie de la délégation française emmenée par Chirac au lendemain des inondations de 2001 à Alger. Brahim n'est pas resté insensible à la détresse des sinistrés de Bab El Oued auxquels il a rendu visite. Aux jeunes boxeurs, il a promis un ring et tous les accessoires de boxe d'un montant de 30 000 euros. Il a tenu sa promesse, comme il l'avait fait pour Bou Saâda et dont la salle de boxe de la ville porte son nom. Puis Hassan, qui ne manque pas d'humour, d'ajouter : « A Bou Saâda, les hôtes de marque, on leur sert des plats locaux comme la chekhchoukha ou la makhtouma. Lorsque Acariès vient à Bou Saâda, vous savez quel plat il commande ? Le z'fiti que nous lui servons avec un réel plaisir. C'est délicieux, mais très piquant. » L'entraîneur ne fait qu'imiter son boxeur qui aime bien ce plat typique de la région. « C'est le seul combat qu'ils perdent par K. O. », ironise Hassan, avec une lueur dans les yeux… Depuis samedi, vers les coups de minuit, Brahim savoure sa victoire. Celle de la détermination et de la persévérance, comme le lui a signifié dans son message M. Sarkozy qui a exprimé « au nom de la France, toute sa fierté pour cette belle performance. » « Je suis comblé », confesse le boxeur désormais sur un nuage. Laissons-le prendre sa part de rêve après de lancinants moments de doute. Parcours Brahim est né le 31 janvier 1979 et a grandi à Bourgoin-Jallieu. Ses parents sont originaires de Bou Saâda. Sa famille compte 8 garçons et 2 filles. En 1937, à l'âge de 14 ans, Brahim s'inscrit dans un club de boxe après avoir assisté à un gala qui fut pour lui la révélation. Il obtiendra la médaille d'or en battant en finale l'Espagnol Rafael Lozano aux Jeux olympiques de Sydney en 2000. C'est la première médaille d'or française en boxe depuis les JO de Berlin en 1936 avec les titres de Roger Michelot en mi-lourd et Desaux en moyens. Champion olympique en 2000, il passe professionnel en janvier 2001. Il décroche le titre européen des poids mouche le 14 novembre 2003 en battant l'Espagnol Jose Bueno et conserve ce titre en rebattant ce même Bueno le 14 mars 2005. Il s'incline aux points contre le Vénézuélien Lozenzo pour le compte du championnat du monde WBA des mouche le 5 décembre 2005. Il s'incline de nouveau aux points contre l'Argentin Omar Narvaez pour le compte du championnat du monde WBO des poids mouche le 10 mars 2007 en Côte d'Azur. Il est sacré champion du monde des mi-mouche WBA, le samedi 8 décembre 2007. A son actif, 25 combats, dont 25 victoires, 9 par K. O. et deux défaites.