Dans nos contrées, il faut avouer que l'on n'est pas tendre avec la vie mais on respecte néanmoins la mort. Et quand un homme meurt, on a coutume de dire que c'était un juste et que tous les hommes qui meurent sont des bons, manière d'éviter par superstition d'insulter le destin. Mais dans le cas de Redouane Osmane, c'est vrai, c'était justement un juste. Même si les hommages posthumes ont toujours quelque chose d'hypocrite et de larmoyant, même si ces mots ont perdu de leur sens, Redouane était le militant sincère de toutes les luttes ascensionnelles, le cœur qui battait trop vite dans un pays rythmé par la haine froide. En cette saison particulière de morts, il y en a qui meurent plus que d'autres. A son enterrement, il y avait du monde, et beaucoup de respect. En dehors des fonctionnaires de la congrégation des pleureuses, il y avait beaucoup de personnes qui se sont senties encore plus seules hier. Si le combat syndical, celui des enseignants et des élèves, celui d'une école moderne dans un pays moderne, celui des libertés au pays des mangeurs de libertés, n'est évidemment pas terminé, la mort de Osmane est une grosse perte. Dans une terre devenue monomaniaque où chacun attend des ordres, où tout le monde somnole en attendant un prophète venu par le fourgon du soir régler tous les problèmes, il est des morts difficilement remplaçables. La question frise la biologie : pourquoi ceux qui se battent meurent-ils généralement avant ceux contre qui ils se battent ? Pourquoi les puissants et les corrompus mettent-ils autant de temps à mourir ? Simplement, peut-être, ils sont bien nourris, bien soignés, vivent bien, ne se sentent pas concernés par quelque devoir que ce soit et dorment très bien. La dernière leçon de l'enseignant Osmane ? Il est mort au travail, dans sa salle de classe. Là où il a tout commencé. Aujourd'hui, il fait un peu plus froid.