Avec le décès de Mostefa Lacheraf, l'année 2007 a commencé sous de tristes auspices, sinon de mauvais augures. La perte de ce penseur nous rappelait fortement comment le fait de ne pas penser la culture peut conduire à la victoire de la culture de pacotille ou. Avec la rubrique culturelle quotidienne, mais également les couvertures des pages régionales, Arts & Lettres s'est efforcé, au long de l'année, de donner corps à la préoccupation d'El Watan de conférer à l'actualité culturelle et artistique l'importance qu'elle mérite. Ainsi, chaque jeudi, nous avons tenté d'en rendre compte en apportant des éclairages utiles. Nous avons aussi voulu respecter un équilibre entre les disciplines littéraires et artistiques et faire œuvre de décloisonnement entre les différentes expressions, points de vue, langues, sources et lieux. Car nous pensons que le monde de la culture souffre autant des carcans extérieurs que de l'insuffisance (pour ne pas dire l'inexistence) de son débat interne et de la persistance de préjugés, parfois déplorables, il faut le dire. Si l'émulation est souhaitable, le rejet des uns par les autres ne peut que nuire à la solidarité des écrivains et artistes pour faire valoir leurs droits et leurs visions sur la gestion de la culture. C'est pourquoi il faut saluer, par exemple, la récente naissance d'une association de cinéastes dont nous parlerons bientôt. Nous avons tenté aussi de toujours garder un œil sur la culture universelle. De ces bonnes résolutions, nous laissons aux lecteurs et lectrices le soin de juger. Cette année s'est confondue avec l'événement Alger, capitale de la culture arabe. Soutenu par certains, décrié par d'autres, il a constitué une gigantesque entreprise d'action culturelle. Relativement gigantesque, car il intervenait sur un champ culturel marqué par une décennie d'atonie et qui relevait tout juste de son trauma par une reprise encourageante, mais limitée par : la faiblesse des mécanismes de soutien, la pauvreté ou l'absence d'infrastructures, le manque de formation, de références, de pratiques d'organisation et de promotion, le peu de considération des artistes, la raideur des institutions centrales ou locales… ! Nous avons assisté ainsi à un déluge (toujours relatif) de manifestations, avec le sentiment que la quantité l'emportait sur la qualité, le clinquant sur le profond. Cependant, çà et là, il faut le reconnaître, des pépites sont apparues, des prestations magnifiques, des élans du public. Et, sur la ligne d'arrivée, il y a eu la création du Musée de la miniature, de l'enluminure et de la calligraphie et celui d'art moderne et contemporain, véritable événement culturel et architectural. Et là, nous avons vu des détracteurs de l'Année applaudir à l'initiative, prouvant ainsi la sincérité de leur rejet et relevant la forte attente des gens de l'art comme des publics pour des actions durables et surtout visibles, car s'il est une chose qui touche au plus haut point, c'est bien celle de la visibilité. Des décennies de pratiques opaques et biscornues, de prime au copinage ou au cousinage, ont fini par faire de l'amertume et de la suspicion des réflexes quasi-biologiques. Si bien qu'aujourd'hui, pour convaincre, il faut sur-communiquer, doubler les doses de transparence, au risque de rabâcher. Ce qui n'a pas encore été le cas. De plus, les habitudes institutionnelles de culture évènementielle et de célébration, séparées par de longues périodes d'hibernation, ont renforcé la tendance à se méfier des grandes manifestations dont le primat laisse penser que l'acte culturel ne peut se dérouler qu'avec un ruban protocolaire à couper. Cette contre-vision d'une vision officielle a empêché certains de relever le bond réel (encore relatif, bien sûr) dans la production de livres, de films ou de pièces de théâtre, l'organisation d'expositions d'art et d'histoire, de rencontres littéraires, etc. mais qu'aussi, ce qui a été filmé, montré, dit ou publié ne correspondait pas toujours à de la culture administrée ou conformiste. Pour ce passage calendaire, nous voulions donner la parole aux gens d'art et de lettres. Nous avons envoyé un petit questionnaire à près d'une soixantaine d'entre eux, de toutes les disciplines, générations et lieux de résidence. Nous n'avons reçu que peu de réponses et, pour nous remonter le moral, nous avons décidé que les gens étaient en vacances. Cela dit, ceux qui nous ont répondu, dessinent bien le climat qui entoure le monde de la culture, oscillant entre espoirs et doutes. Pour ce numéro bilan, nous avons rencontré Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture. Toujours passionnée, mais décontractée, elle nous a reçus pendant près de trois heures, pourtant insuffisantes pour embrasser tous les sujets. Mais, pour l'essentiel, cet entretien permet de mieux connaître la démarche et l'action du ministère, sa vision aussi, et de prendre acte de ses engagements pour 2008 et plus tard, à travers des mesures qui, pour certaines, sont annoncées pour la première fois. La deuxième partie de cet entretien paraîtra jeudi prochain avec comme thèmes : le soutien à la création, le cinéma et le réseau des salles, la censure, la formation, le statut de l'artiste, la création d'un conseil national des arts et lettres et d'une mutuelle sociale des artistes et enfin, le festival panafricain prévu en 2009. Toute féérie a besoin d'une machinerie. Mme Khalida Toumi nous assure que la machinerie s'est mise en branle. Allez, bonne année à nos lecteurs et à tous ceux qui, dans notre pays, ont pris les sentiers rocailleux et hasardeux de l'expression, avec la conviction que la beauté et le sens sont des produits de première nécessité et même d'urgence.