Fructueux et sympathique, le dernier essai de Kali Mohammed, notre collègue, chef du bureau de Aïn Témouchent du journal El Watan, nous convie à une exquise plongée dans Le legs du large et les entrailles de la terre de la ville de Béni Saf. Béni Saf, cité portuaire fondée grâce et pour son minerai de fer en 1874. Le livre qui s'arrête à la fin de la guerre de Libération nationale raconte, dans un style simple et aéré, l'histoire ou plutôt les chroniques journalières de cette singulière agglomération marine. L'auteur prévient, dès le départ de cette tendre ballade de 165 pages, qu'il est intéressé pour faire parler la ville, ses archives, ses mémoires, ses messages de pierres, ses messagers humains et ses hommes petits et grands qui ont su pérenniser une trace, un nom, une identité. Kali ne se refuse aucune piste, ne dédaigne aucune odeur. Il ne précède pas l'événement quant il le décrit car, Béni safien d'adoption et journaliste de métier, il sait que pour parler de quelque chose, il faut se mettre en retrait, et il, su le faire. Intrépide sur la datation des hauts faits de la ville du bigaradier et de ses vivaces senteurs, l'homme de plume qu'il est, ne se permet aucune liberté : il interroge l'histoire, en vérifie son authenticité mais n'émet pas de jugements sur tel ou tel fragment de l'évolution sociale et politique d'une cité née cosmopolite parce qu'ouverte à sa naissance à la mer et aux bâtisseurs qui aiment le large dans sa perception cosmique, pluriel. Le legs du large et les entrailles de la terre n'est pas à vrai dire une histoire comme on en rencontre dans les manuels, mais surtout une rencontre de petites histoires individuelles et collectives alignées par la vie dans ce qu'elle a d'absolu et de volatile. La ballade ne bifurque que sur ce qui est essentiel et l'essentiel chez l'auteur, c'est de rendre compte des petits et grands soubresauts qui marquent la naissance et les évolutions d'une cité. C'est dans cette optique d'arpenteur consciencieux et surtout respectueux de l'héritage des anciens, que l'homme de terrain, Kali, a su remonter le détail qui a fait mouche, faire revivre les personnages-clés qui ont secoué la ville, faire rencontrer les souvenirs doux et amers, faire dresser les portraits ambivalents et pathétiques des notables et d'hommes du peuple arrivés par hasard et conquis pour toujours. Les hommes et femmes de Béni Saf sont rendus dans leur constitution ethnologique et socioprofessionnelle du moment, l'ambiance de l'époque, dans l'authenticité du vécu de l'heure et non dans les préjugés des cases « prêtes à l'emploi » du décalage des époques et les analyses de laboratoire « prêtes à penser ». Kali s'est fait le témoin modeste et vigilant d'une époque et c'est largement suffisant pour s'imprégner de l'âme d'une ville, à tout point de vue particulière. On ne peut qu'aimer.