Sitôt le choc de la nouvelle passé – même s'il est toujours difficile de digérer pareils traumatismes – les analystes et observateurs de tout acabit n'ont pas manqué de s'interroger sur les pistes pouvant mener aux commanditaires du terrible attentat de Rawalpindi qui a coûté la vie à Benazir Bhutto. Jeudi, les avis divergeaient, les uns pointant le doigt sans réserve vers les extrémistes radicaux, les autres soupçonnant le clan de Pervez Musharaf d'être derrière le coup. Selon la chaîne privée pakistanaise ARY TV, Al Qaïda aurait revendiqué l'attentat. L'information a toutefois été donnée sans plus de détails. Le gouvernement pakistanais, lui, dit ne pas être au courant d'une revendication par l'organisation d'Oussama Ben Laden. Pour sa part, la Maison-Blanche a cru reconnaître, dans le mode opératoire utilisé jeudi lors de l'attentat de Rawalpindi, la griffe d'Al Qaïda, allusion sans doute à l'attentat suicide. Au-delà des communiqués, il n'est pas indifférent de s'interroger sur le poids de l'islamisme radical au sein de la société pakistanaise. Dans une excellente étude intitulée Histoire et enjeux de l'islamisme pakistanais, publiée dans la revue Géostratégiques n°12, d'avril 2006, le chercheur Mohamed Fadhel Troudi, vice-président du Centre d'études et de recherches stratégiques du Monde arabe (Paris), explique les assises historiques et sociologiques des mouvements radicaux au Pakistan. Le chercheur fait d'emblée remarquer que le Pakistan est né sur une base confessionnelle suite à la partition des anciennes Indes britanniques. De ce fait, le Pakistan apparaît, selon lui, comme un « Etat bâti intrinsèquement sur l'instrumentalisation de l'Islam, la conséquence étant la montée en puissance de mouvements islamistes et la radicalisation de la société entière ». Et de faire observer que « le pays se définit comme un Etat idéologique beaucoup plus qu'un Etat-nation ». Pour Mohamed Fadhel Troudi, même si l'Etat pakistanais n'est pas religieux, ses objectifs stratégiques vont le pousser à s'allier avec le fondamentalisme religieux pour affaiblir l'Inde, son ennemi traditionnel, et s'assurer une profondeur stratégique en Afghanistan. Voilà qui explique l'alliance décisive qu'allait passer le dictateur Zia Ul Haqq dès son putsch contre Zulfikar Ali Bhutto avec les islamistes. Zia Ul Haqq imposera ainsi la charia au long de ses onze années de dictature. Ce choix fondamental sera appuyé par deux événements régionaux majeurs et quasi concomitants : la Révolution islamique en Iran en 1979 et l'invasion de l'Afghanistan voisin, la même année, par l'ex-URSS. Plus tard, le front irakien viendra grossir les rangs des candidats aux camps d'entraînement de Peshawar et du Waziristan. Par ailleurs, Mohamed Fadhel Troudi distingue deux grandes organisations islamistes qui travaillent en profondeur la société pakistanaise : le Mouvement Tabligh « qui ne cache pas sa proximité idéologique avec les taliban et le mouvement d'Al Qaïda aujourd'hui ». L'autre grand mouvement est le « Jama'at-islami » dont l'idéologue n'est autre que l'intellectuel pakistanais Aboulal'a Al-Mawdoudi (1903-1979), auteur de l'une des plus importantes théories politiques de l'Islam et grand inspirateur de la doctrine révolutionnaire de Sayyed Qutb, indique le chercheur.Sur un autre plan, il faut savoir que le Pakistan a été le berceau du mouvement des taliban qui a prospéré dans les fameuses « medersas » qui émaillent tout le pays, et largement soutenu à sa naissance par les services secrets pakistanais, les ISI (Inter Service Intelligence). Le mollah Omar lui-même, gourou des taliban, est sorti de l'une d'elles : la « haqqania ». Benazir Bhutto avait dénoncé le travail d'endoctrinement fait par ce réseau d'écoles islamiques qu'elle n'hésitait pas à qualifier d'« usines de l'extrémisme » où l'on inculque aux jeunes une version ultraconservatrice de la religion.