Une plainte contre le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, vient d'être déposée par un avocat auprès du tribunal de Bir Mourad Raïs, à Alger, « pour détention arbitraire ». Enregistrée sous le numéro 2535, cette plainte est une première dans les annales de la justice et risque, dans le cas où elle serait mise en action, de faire tache d'huile. L'action a été engagée le 22 décembre par Me Abderrahim Kherroubi, agissant en qualité d'avocat de Badreddine et Tewfik Chakib Kherroubi, en détention provisoire depuis 49 mois, dans le cadre de l'affaire BCIA, dont la plupart des mis en cause ont été jugés par le tribunal criminel d'Oran, il y a quelques mois. Dans la plainte, l'avocat revient sur la genèse de l'affaire en expliquant qu'en date du 22 octobre 2003, les deux Kherroubi ont été convoqués par le juge d'instruction de la 5e chambre du tribunal de Seddikia, à Oran, qui les a inculpés et placés sous mandat de dépôt dans le cadre de l'affaire BCIA. Malgré un contre-rapport présenté au juge d'instruction, dénonçant une enquête de police manifestement malveillante, celui-ci s'est appliqué à maintenir en détention les deux mis en cause après une instruction à sens unique qui aura duré 18 mois et 17 jours, avant qu'il ne rende son ordonnance de transmission le 8 mai 2005. De prorogation de détention en prorogation de détention, les mis en cause sont demeurés incarcérés préventivement », lit-on dans la plainte. Par arrêt du 13 juin 2005, précise Me Kherroubi, la chambre d'accusation près la cour d'Oran, a ordonné le renvoi des sus-nommés devant le tribunal criminel d'Oran. Une décision qui a fait l'objet d'un pourvoi en cassation, intervenu au moment où une nouvelle loi relative à la lutte contre la corruption venait d'être promulguée réduisant les faits poursuivis qui avaient la forme criminelle en un délit. « Le 19 avril 2006, la chambre criminelle près la Cour suprême a prononcé la cassation partielle de l'arrêt de renvoi du 13 juin 2005 de la chambre d'accusation en ce qui concerne les deux Kherroubi, et a renvoyé l'affaire devant la chambre d'accusation autrement composée. En application des dispositions de l'article 523 du code de procédure pénale, la chambre d'accusation saisie, opposant une résistance injustifiée à la décision de la Cour suprême, a par arrêt du 3 juillet 2006 ordonné à nouveau le renvoi des mis en cause devant le tribunal criminel d'Oran pour répondre d'une prétendue complicité de dilapidation de deniers publics, tout en prononçant un non-lieu annulant les chefs d'inculpation de faux en écriture de banque et escroquerie », souligne Me Kherroubi dans sa plainte, en précisant que la décision de renvoi a fait l'objet d'une cassation. Le 19 septembre 2007, la Cour suprême a cassé l'arrêt du 3 juillet 2006, rendant sans effet la détention des deux mis en cause. « A l'heure actuelle, la détention des deux Kherroubi depuis 49 mois, pour des faits correctionnalisés, est illégale et ne correspond pas aux règles posées en la matière par l'article 125 du code de procédure pénale. Cette détention qui n'obéit à aucune forme légale ne peut être dans tous les cas couverte par aucun acte d'instruction ni par une décision de justice. » Face à ce que l'avocat qualifie de dépassement, une correspondance a été transmise au ministre de la Justice le 25 novembre dernier, non seulement pour l'informer mais aussi pour lui demander de dénoncer, conformément à l'article 30 du code de procédure pénale, « ce véritable attentat préjudiciable » à la liberté individuelle et d'ordonner qu'il y soit mis fin. Malheureusement, aucune suite n'a été donnée à cette lettre, et les deux mis en cause sont toujours maintenus en détention. « L'attitude complice de Tayeb Belaïz, ministre de la Justice, témoigne de sa volonté arrêtée et consciente de refuser de faire respecter les formes prescrites par la loi en matière de détention préventive. Il s'agit là d'une infraction pénale, d'une gravité certaine qui ne peut être acceptée. Aussi la responsabilité pénale du ministre de la Justice est entièrement engagée dans ce délit de détention arbitraire, puni en vertu des articles 42, 44, 107 et 291 du code pénal. » En conclusion, Me Kherroubi a demandé au procureur près le tribunal de Bir Mourad Raïs de faire application des dispositions de l'article 573 du code de procédure pénale pour poursuivre le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, et tous ceux impliqués pour détention arbitraire. Cette plainte intervient moins d'un mois après la transmission par Me Kherroubi d'une lettre dans laquelle il l'informe de la décision de la Cour suprême confirmant définitivement le caractère correctionnel des poursuites engagées le 22 octobre 2003 contre les deux Kherroubi, et lui demande de mettre un terme à « l'intolérable dysfonctionnement de l'appareil judiciaire » et d'ordonner qu'il soit mis fin à « la préjudiciable atteinte aux droits des Kherroubi ». Déposée samedi dernier, cette plainte contre Tayeb Belaïz a fait l'effet d'une bombe dans les rouages de la justice. En dehors de son caractère unique, puisque c'est la première fois qu'une plainte est déposée contre un ministre en exercice, de surcroît de la Justice, cette affaire risque de faire couler beaucoup d'encre et sert, de l'avis de nombreux avocats, à mesurer le niveau d'indépendance des juges, qui auront à l'examiner.