Les affrontements ont baissé d'intensité au Kenya, mais le bilan est extrêmement lourd. Près de quatre cents tués, parfois dans des conditions atroces, comme ces dizaines de personnes brûlées vives à l'intérieur d'une église où elles croyaient trouver refuge. Mais, visiblement, aucun lieu n'est demeuré inviolable. Cependant, un tel bilan cache mal les fâcheuses conséquences sur le Kenya, puisque le conflit politique a pris une tournure ethnique, avec deux leaders politiques venus de deux ethnies différentes et jusque-là opposées comme s'il s'agissait d'un schéma politique immuable. C'est là que les déclarations du président de la Commission électorale kényane (ECK), prennent toute leur signification. Plus qu'une simple déclaration, ce sont là des aveux. Il déclare tout simplement ne pas être sûr de la victoire du président sortant, selon la presse kenyane. « Je ne sais pas si Kibaki a remporté l'élection », a concédé ce responsable, Samuel Kivuitu, au quotidien The Standard, l'un des deux journaux les plus influents du pays. M. Kivuitu avait proclamé dimanche après-midi la réélection de M. Kibaki par un peu plus de 200 000 voix d'avance sur son adversaire et chef de l'opposition Raila Odinga, qui pourtant caracolait en tête dans les sondages et les premiers résultats partiels. Dans un entretien télévisé, il avait indiqué mardi avoir fait l'objet de pressions de la part de l'Union européenne et la commission kényane des droits de l'homme pour repousser l'annonce des résultats et d'autres pour, au contraire, accélérer l'annonce du vainqueur, par les partis de Mwai Kibaki et du troisième principal candidat Kalonzo Musyoka. « Si ce contentieux est finalement porté devant la justice, la décision devra être prise rapidement, de sorte que si Raila était désigné président, qu'il en soit ainsi. Si c'est Kibaki, qu'il en soit ainsi également », a dit M. Kivuitu au quotidien. M. Samuel Kivuitu a, en effet, affirmé mardi qu'il était soumis à des pressions lorsqu'il a annoncé la réélection du président sortant Mwai Kibaki. Mais le parti de l'Unité nationale (Party of National Unity - PNU, au pouvoir) et le Parti démocratique orange-Kenya (ODM-K) du candidat Kalonzo Musyoka, exigeaient que les résultats soient rendus publics immédiatement, a-t-il ajouté. « Je voulais démissionner, mais j'ai pensé que si je le faisais, les citoyens penseraient que j'avais peur, c'est pourquoi j'ai décidé de faire face aux problèmes jusqu'au bout », a-t-il dit. « J'étais pressé de toutes parts... alors j'ai pris aussitôt une décision », a ajouté M. Kivuitu. Le président de l'ECK avait déclaré vainqueur le président sortant Mwai Kibaki en dépit des allégations selon lesquelles son parti s'était livré à des fraudes électorales, ouvrant la voie aux émeutes et violences interethniques qui ont tué plus de 300 personnes depuis le 27 décembre. Dénonçant « une tuerie insensée », la Croix-Rouge kenyane a estimé qu'au moins 70 000 personnes avaient été déplacées dans l'ouest du pays à cause des violences. Des images aériennes montrent des centaines de maisons et huttes incendiées et des barrages routiers installés tous les dix kilomètres sur les routes. Des centaines de Kenyans de la tribu Kikuyu, dont est issu le président Kibakin, se sont réfugiés en Ouganda, selon des responsables ougandais, pour fuir des opérations de police et des actes de vengeance d'autres tribus loyales à l'opposant Odinga. L'Union africaine et l'Union européenne ont appelé, mardi, à « la retenue » et au « dialogue » les représentants des deux camps, l'UE souhaitant qu'une « solution crédible et transparente » soit trouvée aux problèmes suscités par l'élection présidentielle. Comme en réponse, le président Kibaki a convenu « que les dirigeants des partis politiques devraient se rencontrer immédiatement et appeler publiquement au calme ». La Secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice et le ministre britannique des affaires étrangères, David Miliband, ont lancé de leur côté hier, dans un communiqué commun, un appel aux dirigeants kenyans pour qu'ils « fassent preuve d'esprit de compromis ». Raila Odinga avait auparavant averti qu'il n'accepterait de « négocier » avec le président sortant que si M. Kibaki reconnaissait avoir perdu les élections. « Les voix peuvent être recomptées (...), avait-il dit. Nous sommes disposés à faire venir une équipe internationale de juges ». Les bulletins peuvent être recomptés effectivement, mais le mal fait au Kenya n'est-il pas, quant à lui, plus grave ?