Khemissa D. avait 70 ans, fille et veuve de chahid, et n'avait qu'une seule aspiration, couler dans le calme et la tranquillité le temps qui lui restait à vivre. Femme forte comme seules peuvent l'être nos montagnardes, elle jouissait de la pension de chahid que lui avait laissée son défunt mari. Dans sa maison à Seraïdi, sur les hauteurs de Annaba, Khemissa aimait à être entourée des enfants de son voisinage et vouait un grand respect pour leurs parents. Dans sa maison de campagne, elle passait son temps à attendre le retour de l'école de ses petits-enfants et neveux qu'elle hébergeait et nourrissait car habitant à Aïn Barbar, une localité distante de plusieurs kilomètres de Seraïdi. Durant ses discussions avec les voisins, elle ne cessait de leur parler de son unique enfant, une fille mariée installée à Alger. Elle parlait aussi de ses nièces et ses neveux dont Yacine Siaghi. Elle disait beaucoup aimer ce dernier, âgé de 29 ans, qu'elle cajolait en lui offrant gâteaux, friandises et de l' argent de poche à chacune de ses visites. A ses voisins, elle avait même raconté sa dernière visite le 27e jour du Ramadhan de 2000. Elle avait pris le soin de préciser que ce jour-là, le comportement de Yacine était perturbé et ses regards étaient attirés comme par un aimant vers la chambre à coucher. Khemissa ignorait que cette visite de Yacine chez elle était en fait une dernière reconnaissance des lieux avant de passer à l'acte... et quel acte ! C'était dans le nuit du 15 au 16 décembre 2000, la dernière nuit du Ramadhan. Il était 3h lorsque Khemissa fut réveillée par un bruit suspect en provenance du toit de sa maison. Elle se leva de son lit et se dirigea, une lampe électrique à la main, vers la pièce d'où provenait le bruit. Elle fit quelques pas vers la fenêtre pour s'assurer qu'elle était bien fermée. Soudain, elle fut aveuglée par un rideau jeté sur elle. Alors que deux bras l'immobilisaient, une main lui fermait hermétiquement la bouche l'empêchant d'appeler au secours. Une voix sourde lui intima l'ordre de dire où elle cachait son or et son argent. Puis elle entendit une autre voix qu'elle a reconnue aussitôt pour être celle de Yacine dire : « Il faut la ligoter Bécha. » Celui-ci était le pseudonyme dont les voisins les plus proches du quartier affublaient leur fils Dridi El Bachir âgé de 32 ans. Loin de croire que ces deux agresseurs pouvaient aller jusqu'à l'assassiner, Khemissa ne put s'empêcher de leur dire de cesser leur acte car elle les avaient reconnus. C'était sans compter sur l'absence de scrupules, de pitié et la détermination de ses deux agresseurs. « Elle nous a reconnus », criera Bécha à son complice. Calmement, sourd aux appels à la pitié de la vieille femme et sous les yeux approbateurs de Yacine, Dridi tira son couteau d'une lame de 13 cm et d'un seul coup trancha le cou de Khemissa qui s'écroula. Nullement impressionnés par le sang et par le corps sans vie de cette femme qui les a vus tous deux naître et langés alors qu'ils étaient nouveaux-nés, Bécha et Yacine se dirigèrent vers la garde-robe. Ils s'emparèrent d'une ceinture sertie de Louis d'or avec grosse boucle, de bracelets, une chaîne en or et de 4 millions de centimes. Dans leur tentative de brûler toute trace de leur passage et du corps ainsi que de supprimer tout indice de vol, les deux criminels mirent le feu à la maison. Ils s'en allèrent comme si de rien n'était partager le butin plus loin avant de se séparer. Ce sont tous ces faits que, comparaissant à la barre des accusés du tribunal criminel de Annaba en son audience de ce samedi, Dridi El Bachir a reconstitués. Il l'avait fait sans apparemment avoir de remords. Il narrait les faits atroces commis avec son complice comme s'il s'agissait d'une affaire tout ce qu'il y a de banal. Les membres du juré, le président du tribunal et ses assesseurs, leurs propres avocats comme les autres, le public présent ne pouvaient comprendre que l'on puisse atteindre un degré d'inconscience et une froideur digne des plus grands criminels. Comme si cela ne suffisait pas, El Bachir tenta de disculper son complice en affirmant que Yacine Siaghi n'a pas participé à l'assassinat. Selon lui, ce dernier n'avait fait que cacher chez lui les bijoux et l'argent volés et qu'il était seul à avoir assassiné la vieille femme. Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public fit sauter tous les arguments avancés par Dridi El Bachir dans sa tentative de sauver son complice. « Ils n'ont pas eu un brin de pitié pour cette vieille femme qui les avaient élevés comme si c'était ses propres enfants. Ils n'ont pas eu un seul regard, un tout petit remords de l'acte innommable qu'ils ont commis à deux. Notre société ne doit pas en avoir pour eux et la seule sanction à appliquer pour ces deux monstres est la peine capitale pour meurtre avec préméditation, vol et incendie volontaire », tonnera-t-il en conclusion de son long réquisitoire appuyé par un doigt pointé sur les vêtements du criminel publiquement exhibés tâchés de sang de la victime. A l'issue des délibérations de cette première audience de la 2e session du tribunal criminel de Annaba, Dridi El Bachir et Yacine Siaghi, médicalement déclarés conscients de leurs actes, ont été condamnés à la peine capitale.