C'est principalement son statut qui pose problème aux yeux de nombreux scientifiques de l'Agence nationale de conservation de la nature. « Nous n'avons rien contre le directeur du parc, M. Zeriat, ou la wilaya en charge de gérer le Jardin. Ce que nous voulons, c'est que le Jardin d'Essais soit classé jardin botanique », s'exprime-t-on au sein du corps collectif technique de l'ANN. Le « la » est donné, et déjà le clairon de la bataille a sonné entre une institution chargée, d'une part, de la conservation de la nature et, d'autre part, la wilaya ainsi que son directeur, par ailleurs nommé par le wali. En apparence, le clivage qui semble se creuser entre chacun des occupants du parc a des airs de défiance et de suspicion. Pourtant, de plus près, il n'en est rien. Les attaques de part et d'autre ne sont pas personnelles et ne visent pas les individus. En réalité, chacun des protagonistes semble tenir à peu près un même discours, mais dans des langages différents. La wilaya d'Alger, à travers le directeur du Jardin, veut faire des choses et les faire vite. A l'Agence nationale de conservation de la nature, on n'est pas pour l'action, mais pour la préservation. Mieux vaut prendre son temps que de dépenser de l'argent dans des œuvres non prioritaires sans égards pour la nature. Des gestionnaires et des scientifiques, l'éternel dissension qui, si elle était dépassée, pourrait aboutir à une communion d'efforts bénéfiques pour le jardin. La classification du Jardin d'Essais en jardin botanique, selon les normes internationales, n'est pas une utopie selon le collectif technique de l'ANN, qui ajoute qu'une liste de 12 critères existe pour prétendre être un jardin botanique selon les normes internationales. Avoir un seul de ces critères suffit, le jardin en cumule 9 sur les 12. « On ne peut prétendre gérer un jardin tel que celui-ci, d'envergure nationale, et le circonscrire juridiquement à la wilaya d'Alger, fut-elle la mieux pourvue financièrement », poursuit-on à l'ANN. Dans l'enclos réservé à l'Agence nationale de conservation de la nature, l'ambiance n'est pas à la fête même si l'on est fier du travail accompli dernièrement et qui consiste à répertorier toutes les herbes autochtones. Quelques wilayas ont déjà fait l'objet de ce travail laborieux et les collègues n'hésitent pas à sortir la melissa calamentha cheraga conservées depuis 1875. Pour en revenir au jardin, « on a dépensé de l'argent pour des choses qui n'en valaient pas la peine. A commencer par ce gazon du jardin français. Il y avait un très bon gazon, résistant à la chaleur estivale et au coup de fouet humide de la mer. Mais il a été jugé bon de le retirer et de le remplacer par un autre qui, à certains endroits, n'est pas du gazon mais de l'herbe », explique-t-on. Interrogé, le directeur du jardin, M. Zeriat, expliquera qu'il s'agit d'un gazon de très bonne qualité et que les endroits dégarnis correspondent au 1200 m2 attaqués par des champignons. De nombreux vols Concernant les nombreux vols, M. Zeriat rappelle qu'un technicien de l'Edeval avait été suspecté et renvoyé pour ce motif. Pourtant l'ANN déplore le vol d'un cycas mâle, il y a peu de temps. Protégé par la Cittes, ce fossile vivant fait l'objet de convoitises, puisqu'il coûte environ 350 000 DA ; aujourd'hui, il ne reste plus qu'un seul cycas mâle au jardin. Les statues du jardin qui ont subi d'énormes dommages, dont l'une d'ailleurs, la danseuse, avait perdu ses deux bras, a heureusement fait l'objet d'une restauration. Des artistes de l'Ecole des beaux-arts ont pu refaire les bras ainsi que le turban qu'elle tient autour de sa tête, mais ce travail n'a pu être fait sans la collaboration évidente « des amis du Jardin du Hamma d'Algérie et de France » qui ont recueilli les photos d'époque où la danseuse avait encore ses bras, afin de permettre une reconstitution exacte de l'œuvre. L'ANN espère que la collaboration des amis du Jardin d'essais sera inscrite auprès de la statue à l'ouverture du parc, prévue pour le 30 mars prochain. Le revêtement du sol du jardin est également de mauvaise qualité, selon les conservateurs de la nature qui y voient un tuf de bas de gamme. M. Zeriat reconnaît qu'il peut être procédé à son remplacement et que l'essentiel étant que « la structure du jardin n'ait pas été touchée ». Son ambition pour les 15 prochains jours consiste à amener au jardin 70 variétés de roses différentes, ce qui est une première en Algérie. « Nous avons collaboré avec la mairie de Paris et le directeur des jardins botaniques, M. Laurent Bré, dont on ne peut contester le savoir-faire », s'exclame M. Zeriat. Pourtant le célèbre botaniste n'aura en rien contredit aux aménagements des miroirs du jardin français. En effet, ces espaces d'eau de forme circulaire ne sont pas des mini-étangs, mais des miroirs que l'architecte d'époque avait harmonieusement mariés à la perspective du jardin. Ces miroirs sont encadrés sur toute la longueur par de gigantesques palmiers California et réfléchissent la lumière du ciel, épousent le bleu que la mer, au fond, renvoie. Aujourd'hui, des jets d'eau y ont été incorporés, cassant ainsi la perspective et les réduisant à de simples fontaines. Et comme pour injurier la poésie du jardin français, la perspective qui doit s'étendre sur la mer est bouleversée par deux pylônes et une partie de l'usine de dessalement d'eau de mer. L'architecte, qui avait pensé à la vue qu'auraient les visiteurs en se positionnant du musée des beaux arts, dont le regard devait être aiguillonné par une allée droite et rectiligne pour déboucher sur le bleu, n'a pas pensé que son travail serait gâché par le béton et la bêtise des hommes. Le travail de sape avait commencé avec l'autoroute déversant une foule d'automobilistes stressés vers l'est de la capitale. Et non satisfait, c'est une usine dans sa grandiloquente laideur qui s'offre aujourd'hui dans la ligne du jardin français à El Hamma. Il y a encore un siècle ou moins, à l'endroit même de cette usine et de cette parcelle d'autoroute, se trouvait une esplanade, aboutissement logique du Jardin d'essais, que quelques palmiers accompagnaient. Et enfin au bout, la mer, mais surtout une plage… « De tels jardins sont comme des musées. Il faut à leur tête des hommes de goût, et d'une certaine qualité. Il est défendu de déplacer les bancs, me disait l'autre jour un Algérois. Mais il n'est pas défendu de déplacer les fonctionnaires qui abîment les œuvres belles qui leur ont été confiées. « Nous n'en demandons pas tant ! Mais seulement que dans certains cas, on double ou on fasse surveiller les artisans par des artistes », écrivait l'académicien français Henry de Montherlant en…1933. ( « Il y a encore des paradis »).