Histoire et géographie s'associent à merveille à Beyrouth pour rappeler le pire et parfois le meilleur. Ici, à l'église Saint-Michel (Mar Mikhaël), dans la banlieue sud, passait la terrible ligne de démarcation entre chiites du quartier Chyah et chrétiens du quartier d'en face, Aïn Rémaneh. Beyrouth : De notre envoyé spécial Une route et des snipers des deux côtés lors de la guerre civile qui a duré quinze longues années, de 1975 à 1990. Hier matin, des chiites de Amal et du Hezbollah, leurs alliés chrétiens du Courant patriotique libre (CLP, de Michel Aoun) ont participé ensemble à une messe en mémoire des sept victimes des affrontements de dimanche dernier. Foule bariolée d'orange, la couleur du CLP : cravates, écharpes, casquettes, fanions… Une échoppe à l'extérieur vend des pin's, des drapeaux et des posters aux effigies de Michel Aoun, de Nasrallah et de Nabih Berri. Le vendeur refuse d'avouer quel leader fait vendre le plus. En face de l'église, deux bâtiments éventrés par des obus aux murs criblés de balles : reliques balistiques de la guerre civile. La foule dans la cour de l'église applaudit les ministres démissionnaires et les députés du Hezbollah et de Amal. Un dignitaire chiite arrive juste avant l'entrée du père maronite. Les toilettes superbes de jeunes femmes jouxtent les sourires des femmes voilées. Une belle kermesse avec ces chapelets chiites et les liturgies de l'Eglise orientale. « Nous devons montrer au monde entier notre capacité de vivre ensemble. Et leur dire que cette ligne de démarcation est désormais une ligne de rencontre », lance le père maronite tandis que, de temps en temps, des personnes inquiètes scrutent les toits environnants. La peur des tirs anonymes reste persistante. Et ce ne sont pas les résultats de l'enquête préliminaire sur les événements du dimanche 27 janvier, publiés avant-hier, qui calmeront les craintes. Samedi soir, le procureur militaire a annoncé l'arrestation de onze militaires – dont trois officiers – et six civils. « La rapidité de l'enquête et l'arrestation de militaires peuvent calmer les esprits », pronostique un journaliste libanais. Mais il faudra attendre les résultats définitifs de l'enquête menée par la police militaire, les services du renseignement et le parquet militaire. Le chef de l'armée, face à la colère de Nasrallah – les victimes étaient toutes chiites – et des partis alliés, s'était engagé à faire la lumière sur ces événements le plus vite possible. Le général Michel Sleimane, candidat du compromis à la présidence de la République, joue sa propre crédibilité, selon des sources de l'opposition. Le climat calme, cependant tendu, de la journée d'hier, avec la commémoration du septième jour côté chiite, peut présager d'un début de déblocage. Mais rien n'est moins sûr. Mystérieusement, des attaques par balle ont ciblés des blindés de l'armée à Galerie Samâan, non loin de la banlieue sud, blessant deux soldats il y a trois jours. Beyrouth retient donc son souffle.