Intervenant hier sur les ondes de la Chaîne I, lors de l'émission « Al Ouadjiha », Abdelmalek Sayeh, directeur général de l'Office national de prévention et de lutte contre les toxicomanies, a tiré la sonnette d'alarme sur l'évolution du trafic et de la consommation de drogue en Algérie. Pour lui, les statistiques des saisies annuelles opérées par les différents services de sécurité « augmentent chaque année. Ainsi, en 2005, une quantité de 9 t de cannabis a été récupérée ; en 2006, elle est passée à 10 t, alors qu'en 2007, elle a atteint 16,5 t. Ce qui prouve que le phénomène a tendance à prendre de l'ampleur ». Plus grave, a-t-il ajouté, les services de sécurité ont découvert 6000 plants de pavot d'opium (pour produire de l'héroïne et de la morphine) en 2006, et 75 000 en 2007, année durant laquelle 25 000 plants de cannabis ont été détruits dans les régions de Tizi Ouzou, Boumerdès, Béjaïa, Batna et Adrar, sans compter les 22 kg de cocaïne saisis également par les services de sécurité. Maintenant qu'il est difficile pour les narcotrafiquants d'acheminer leurs produits vers l'Europe, ils font tout pour les commercialiser localement à bas prix et à avoir leur propre production en Algérie », a expliqué M. Sayeh. Ce dernier a refusé de confirmer ou d'infirmer les déclarations du ministre de la Santé, Ammar Tou, selon lesquelles 50% de la quantité de drogue qui transite par l'Algérie sont consommés localement. « Je ne peux commenter cette information, mais nous sommes sur le point de lancer une enquête nationale qui touchera quelque 20 000 foyers à travers tout le pays, pour connaître l'étendue de la consommation, ses causes, sa localisation et ses conséquences sur la cellule familiale et l'environnement. C'est à partir de ces résultats que nous pouvons avoir une idée précise sur le phénomène. » Néanmoins, il a expliqué que le nombre de toxicomanes pris en charge par les structures du ministère de la Santé a connu une hausse importante, puisqu'il est passé de 4631 cas en 2006 à 5545 en 2007. Selon lui, en dix ans (1998-2008), il y a eu 26 686 toxicomanes qui ont suivi des traitements. « Ces chiffres, en dépit de leur importance, ne reflètent pas la prévalence de la consommation de drogue en Algérie. Il existe de nombreux toxicomanes qui refusent de se soigner pour une raison ou une autre, et qui ne sont pas identifiés », a-t-il souligné. Pour ce qui est de la prise en charge des toxicomanes en milieu carcéral, M. Sayeh a noté que la législation algérienne prévoit des dispositions très spécifiques à cette catégorie. « Un toxicomane avéré ne peut être mis en prison, quel que soit le crime qu'il a commis. Il doit d'abord être soigné, avant de purger sa peine », a précisé M. Sayeh. Interrogé sur le développement des réseaux de trafic de drogue, leurs ramifications et leurs complicités au sein des institutions de contrôle, en dépit de la fermeture de la frontière ouest, M. Sayeh a déclaré que les rapports de l'Office des Nations unies de lutte contre la drogue et la criminalité (ONUDC) indiquent que 60% de la production mondiale de cannabis provient du Maroc, où 125 000 ha sont recensés annuellement. « Il faut bien que cette production soit commercialisée, et il ne reste aux trafiquants que le territoire algérien. On ne peut nier les complicités de certains agents douaniers, policiers ou gardes frontières avec les trafiquants de drogue, mais elles restent isolées et ne peuvent impliquer toutes les institutions qui font un travail remarquable sur le terrain. Là où il y a de l'argent, il y a de la corruption, c'est une réalité connue de tous », a affirmé le conférencier qui a insisté sur la prévention. Une prévention à laquelle le budget consacré (par l'Etat à l'office) est de... 50 millions de dinars. Dérisoire, lorsque l'on sait que le trafic de drogue constitue le deuxième chiffre d'affaires dans le monde, après celui des armes. « C'est vrai que c'est peu, mais nous ne sommes pas les seuls à faire de la prévention. Il y a d'autres institutions de l'Etat qui interviennent parce qu'il s'agit d'une action multisectorielle, à laquelle même le citoyen doit participer. Il est important d'ajouter que dans le monde entier, le montant dépensé dans les stratégies de prévention ne dépasse pas les 5 millions de dollars. Ce qui est dérisoire par rapport au gain généré annuellement par ce trafic et qui est de 800 milliards de dollars », a-t-il révélé. Il s'est offusqué contre « la démission de la famille », et précisé que généralement « les premiers joints sont souvent offerts gracieusement par les dealers. Mais une fois le jeune consommateur devient accroc, il fait tout pour se procurer l'argent, quitte à voler ses parents ou à agresser les gens dans la rue ». M. Sayeh a interpellé les citoyens sur ce fléau et appelé les parents à plus de vigilance, du fait que la drogue a atteint maintenant non seulement les lycées, mais également les écoles primaires, arguant du fait que l'âge des toxicomanes varie de 12 à 25 ans. Il a conclu en affirmant que la prise en charge d'une semaine d'un toxicomane coûte à l'Etat 70 000 DA, et celle d'un récidiviste, 500 000 DA.