Alors que les pays émergents semblent être obnubilés par la privatisation des services publics, un rappel des dangers que représentent les cyberarmes s'impose. Les progrès considérables que les technologies de l'information et de la communication ont enregistré ont donné naissance à des armes nouvelles, les armes cybernétiques, capables d'anéantir l'économie de toute une nation. Il s'agit d'armes redoutables, totalement nouvelles, pouvant être utilisées dans les conflits entre Etats, c'est-à-dire pour vaincre l'ennemi. Désormais, l'ère des guerres classiques opposant des armées de nations différentes est bel et bien révolue, une autre ère s'annonce déjà, plus cruelle que celle des armes nucléaires, celle des cyberguerres, qui ne connaissent ni contraintes de temps ni de lieu, ne nécessitent pas d'importants investissements, mais sont en mesure de causer des dégâts inestimables. Qu'en est-il exactement de cette nouvelle forme de guerre ? Ses conséquences ? Les auteurs potentiels qui peuvent la déclencher et les stratégies de défense possibles dans ce domaine ? La cyberguerre : de la dimension physique à la dimension virtuelle Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est l'idée même d'une superpuissance militaire invincible qui a fait germer l'idée de la cyberguerre. Si aucune armée au monde ne songe un instant à se mesurer à une superpuissance militaire, s'attaquer, par contre, à des cibles faciles à anéantir, telles les infrastructures dites essentielles pour la survie de cette superpuissance, comme les réseaux des télécommunications, de l'électricité, ou les services de transport aérien, bancaires, financiers, de secours d'urgence, de bases de données essentielles du gouvernement et de commandement militaire, est fort envisageable, d'autant plus que ces infrastructures essentielles son gérées dans la quasi totalité des Etats modernes par l'outil informatique, sont interdépendants et font recours à d'autres supports de l'information, c'est-à-dire les ordinateurs, les logiciels, les fibres optiques, les satellites et internet. Des attaques en ligne peuvent donc être dirigées contre ces infrastructures dans le but de désactiver les systèmes de communication et électriques, bloquer ceux des appels d'urgence, ou perturber les systèmes de commandement des transports aériens ou des forces de défense. Le danger est d'autant plus grave que des attaques simultanées peuvent viser l'ensemble des infrastructures vitales d'une nation. Les conséquences de telles attaques cybernétiques ont des incidences directes sur l'économie, la sécurité et la défense d'un Etat ciblé. Si pour certains, une telle guerre est inconcevable, le premier conflit du genre a eu malheureusement bien lieu. Le conflit numérique Estonie-Fédération de Russie : une véritable guerre en ligne Ce conflit, qui débuta vers la fin du mois d'avril 2007, avait pour origine une décision prise par les autorités estoniennes de déposer une statue en bronze représentant un soldat soviétique, décision qui déclencha une bataille cybernétique durant presque un mois où des attaques par déni de service paralysèrent les sites web du parlement estonien, les télécommunications, les banques ainsi que les journaux. Cette attaque concertée en ligne, la première du genre, aurait poussé un fonctionnaire de l'Organisation de l'Atlantique Nord à déclarer : « Ces attaques… représentaient clairement une opération concertée… C'est une affaire grave pour l'ensemble de l'alliance. » Le doute n'est plus permis, la communauté internationale a vécu sa première guerre virtuelle, peut-on donc identifier les auteurs potentiels de telles attaques cybernétiques ? Les menaces cybernétiques : un danger difficile à identifier Les auteurs potentiels des attaques en ligne ne sont pas faciles à identifier. En effet, même si ces auteurs sont classés en deux catégories distinctes, c'est-à-dire des auteurs structurés et des auteurs non structurés, la frontière entre les deux catégories reste difficile à délimiter. Les auteurs structurés peuvent être des services de renseignements d'un Etat bénéficiant de moyens humains et logistiques d'une importance particulière, comme dans le cas de l'espionnage industriel. Les auteurs non structurés sont généralement des pirates non expérimentés, à l'instar des script kiddies, ne disposant pas de moyens sophistiqués et sont à la recherche d'aventures ou de richesses. Le lecteur aura vite compris que les auteurs structurés peuvent très bien faire appel aux services des auteurs non structurés, pour des raisons multiples, notamment la recherche de compétences particulières, ou tout simplement pour camoufler l'origine de certaines attaques. Par ailleurs, la globalisation des réseaux de l'information permet de lancer une attaque cybernétique de n'importe quel endroit, sachant que des milliers d'ordinateurs sont détournés quotidiennement et utilisés à l'insu de leurs propriétaires par des réseaux secrets pour commettre des vols massifs de données ou propager des virus. Les réseaux Botnet et leurs diffusions rapides prouvent l'insécurité qui caractérise le monde de l'informatique. Si les cyberattaques sont difficiles à localiser, quelle stratégie de défense peut-on envisager afin de lutter contre cette forme nouvelle de guerre ? La protection absolue contre les cyberattaques : un défi pour la communauté internationale En matière de défense contre les cyberattaques, deux mesures de protection sont envisageables. A l'échelle locale (nationale), bien qu'il s'avère impossible de garantir une protection absolue contre tout risque de cyberattaque, il revient cependant aux décideurs politiques de prendre la décision de recenser les infrastructures vitales pour la nation et les protéger au maximum. Ainsi, les services de la défense militaire, de la gendarmerie, de la police, des télécommunications, des transports aériens, de l'énergie et des urgences doivent faire l'objet d'une attention particulière, car en cas de cyberattaque, ce sont ces infrastructures qui seront ciblées, et généralement en même temps afin de mettre « à genoux » l'économie du pays, décourager les forces de défense et perturber la vie quotidienne de la population. L'Etat doit impérativement encourager les investissements dans le domaine de la protection contre les guerres en ligne, d'autant plus que de nos jours de nombreuses technologies existent en matière de lutte contre les cyberguerres. S'agissant des autres infrastructures de moindre importance, il y a lieu d'effectuer une comparaison entre les pertes qu'occasionnerait une cyberattaque et les dépenses engendrées par l'acquisition de matériel de protection. Signalons cependant que le problème de protection se pose avec plus d'acuité pour les pays où les infrastructures vitales sont gérées par le privé. En effet, pour des raisons de profit, les propriétaires se soucient peu des problèmes de sécurité et optent généralement pour des mesures minimales. Ainsi, pour les pays émergents, il serait hasardeux de privatiser les services des télécommunications. L'Etat devrait rester propriétaire au moins de 51% du capital de ce secteur. A l'échelle transnationale, l'harmonisation des règles pour faciliter les poursuites contre les auteurs potentiels d'actes de cyberattaques s'impose bien que « certaines puissances mondiales développent des doctrines allant à l'encontre de l'élaboration de normes internationales en mesure de réglementer l'utilisation de l'informatique sous tous ses aspects, ainsi que le déploiement des armes cybernétiques ». Cette politique leur permet sans nul doute, comme pour la question des armes nucléaires, d'avoir une avance leur permettant de développer des technologies et de les utiliser en cas de conflit international. Les Etats-Unis d'Amérique possèdent déjà une puissance militaire cybernétique redoutable, celle de l'Air Force Cyber Command dépendant directement du Joint Functional Component Command for Network War Fare. Les pays émergents doivent prendre en considération — en matière de privatisation des infrastructures vitales pour la nation, notamment celles concernant les télécommunications, les transports aériens et l'énergie — la nécessité d'être en mesure de protéger efficacement leurs pays contre des cyberattaques. La communauté internationale, quant à elle, est appelée à tracer les frontières entre l'utilisation légale et celle illégale des armes cybernétiques.