C'est un regard de femme sur la banlieue, empreint de lucidité, que nous offre poétiquement Habiba Mahany, jeune écrivaine franco-algérienne avec Kiffer sa race, qui vient de paraître aux éditions Jean Claude Lattès. Une jeune collégienne ouvre les yeux sur l'univers conflictuel des cités, dans lequel chacun doit jouer un rôle qui l'enserre bien souvent dans un carcan réducteur. Sabrina, le personnage de ce premier roman prometteur, ne renonce pas. Elle refuse le miroir déformant d'images médiatiques si fabriquées qu'elles « deviennent la réalité » Il y a beaucoup d'humour dans cette histoire, alors que beaucoup d'événements qui touchent les personnages sont souvent difficiles, voire dramatiques. Pourquoi cette figure de style ? Je ne souhaitais pas écrire un livre larmoyant sur « la-banlieue-qu'est-pas-rose-la-banlieue-qu'est-morose », comme l'ont chanté les Inconnus, les comiques français. L'humour est une arme pour raconter de façon subtile et décalée des faits pas toujours drôles. Et puis, je n'ai pas inventé l'humour de banlieue, c'est même un sport national là-bas, un peu comme en Algérie. On se « vanne », on fait vivre la langue en la triturant, on rit… J'ai écrit un livre à l'image de ses habitants : plein de vie et de dynamisme, même si l'environnement, les circonstances sont pesants. Quelles ont été les difficultés, au plan de l'écriture, d'introduire des tics de langage « djeun » ou de « banlieue », ou de verlan ? Pourquoi ce choix ? Est-il obligatoire pour faire de la littérature de banlieue ? Sabrina a 16 ans, elle habite une cité. Je me voyais mal la faire parler comme une Parisienne chic du XVIe arrondissement. C'est une question de cohérence et un parti pris d'auteure. Je n'ai eu qu'à me souvenir de ma propre adolescence. Il aurait été incongru de boursoufler le langage de Sabrina d'un trop-plein d'académisme. Même si, première de la classe, élève brillante et intelligente, elle sait adapter son registre de langage comme, par exemple devant son professeur de français. Pour revenir à la littérature de banlieue, d'autres auteurs ont utilisé un français plus classique, preuve qu'il n'y a pas de passage obligé de l'écrivain de banlieue. Vous laissez entendre, au détour des images empruntées au monde de la télévision, que c'est l'univers essentiel de la culture du monde décrit dans l'ouvrage. Cela ne semble-t-il pas un peu réducteur ? Depuis que je suis toute petite, je dévore la culture, parce j'aime ce qui est plus grand que moi, c'est pourquoi je me sens étriquée dans ce collège « rabougri », comme Sabrina le dit. Et d'ailleurs, des Sabrina il doit y en avoir beaucoup. Sabrina est une fille de son temps qui regarde aussi la télévision, comme la série N.C.I.S, écoute des musiques à la mode, etc. Mais ce n'est pas une caricature. Elle aime lire, écrire et se pâme devant les chansons de Mike Brant ! Le piège aurait été de faire d'elle un cliché, un autre aurait été d'en faire un contre-exemple absolu et peu crédible. On peut s'irriguer de culture populaire tout en affirmant sa différence par d'autres goûts, plus pointus. Bien sûr qu'il y a beaucoup de Sabrina, j'en suis la preuve ! Il y a aussi des Mohamed ou des Alphonse tout aussi sérieux et déterminés. Je ne trace aucune ligne de démarcation entre hommes et femmes dans ce domaine. Kiffer la race humaine. n'est-ce pas un rêve ? Ou une utopie ? Kiffer sa race, comme je l'entends dans le livre, c'est s'affranchir des barrières dans les têtes qui séparent. Ce n'est pas utopique. Je crois en l'être humain, au citoyen du monde. Je pense que c'est une question de temps — certes long — pour que cela se matérialise. Aimeriez-vous que ce livre soit publié en Algérie ? Evidemment ! L'Algérie, tout comme la France, c'est mon pays. Je serai honorée qu'une maison algérienne propose de l'éditer, en français, pourquoi pas traduit en arabe et en kabyle. Toute ma famille pourrait ainsi lire Kiffer sa race et un de mes rêves serait exaucé. Bio-express Habiba Mahany est âgée de trente ans. Née de parents algériens, elle est assistante de gestion. Elle est la sœur de l'écrivain Mabrouk Rachedi, auteur du Poids d'une âme. Elle fait partie du collectif « Qui fait la France ? », composé de Samir Ouazène, Khalid El Bahji, Karim Amellal, Jean-Eric Boulin, Dembo Goumane, Faïza Guène, Mabrouk Rachedi, Mohamed Razane, Thomté Ryam. Ensemble, ils ont publié un recueil de nouvelles en 2007 intitulé Chronique d'une société annoncée (Stock).